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L’odyssée historique d’un jeune brancardier : Charles de Gaulle à Lourdes en 1907

vendredi 29 décembre 2023 par Rédaction

L’odyssée historique d’un jeune brancardier :

Charles de Gaulle à Lourdes en 1907

En 1907, on est encore pour les historiens au XIX e siècle, c’est la Belle Époque, le Président de la République est un homme du grand Ouest natif du Lot-et-Garonne, Mézin, petite cité où l’on fabrique des bouchons de liège. Ce Président, c’est Armand Fallières. Ce n’est qu’en 1914 que débute pour les historiens le XXème siècle et pour le lieutenant Charles de Gaulle le baptême du feu. Charles de Gaulle, c’est aujourd’hui un homme dont il convient de rappeler qu’il appartient encore au XIX e siècle, et pourrait le prouver l’une ses marquantes lectures de jeunesse : Maurice Barrès, cet écrivain qui évoque Lourdes au début d’un roman aujourd’hui certainement fort peu lu, La colline inspirée.

Le 25 novembre 1941, à Oxford, devant l’élite de la jeunesse anglaise, Charles de Gaulle cite Barrès : « Barrès parlait de lieux où souffle l’esprit ». Puis il ajoute : « Je ne crois pas qu’il en eût imaginé aucun où l’esprit soufflât davantage qu’en l’Université d’Oxford ». Très certainement que de Gaulle rédigeant ce discours avait en sa prodigieuse mémoire tout le texte du premier chapitre de La colline inspirée. Maurice Barrès écrivait à la première page de ce roman : « Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège d’émotions religieuses ». Et parmi ces lieux privilégiés, Maurice Barrès mentionne en premier Lourdes ou plus précisément « l’étroite prairie de Lourdes, entre un rocher et son Gave rapide ».

A la lecture de Barrès, La colline inspirée a été publiée en 1913, Charles de Gaulle s’est certainement souvenu du jeune brancardier de seize ans (il est né le 22 novembre 1890) qu’il fut en 1907 dans la cité mariale. Car Charles de Gaulle est venu en pèlerinage à Lourdes et c’est une lettre à sa mère qui constitue le témoignage de cette visite. Cachet de la Poste. Lourdes 31/08/1907. Samedi à 12 heures : « Ma chère maman, j’ai commencé ce matin mon service de brancardier sous le soleil sans guère de repos, c’est assez dur, mais pas tant qu’on aurait pu le croire. Hier après-midi, j’ai vu une jeune fille italienne paralysée et tuberculeuse guérie à la procession du S. Sacrement. Je vous raconterai les détails. On n’est pas mal à la pension Loquet. Je vous embrasse. Charles de Gaulle ».

La présence de Charles de Gaulle à Lourdes en 1907 n’est pas anodine. En 1905 est votée la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat et les congrégations sont interdites d’enseignement sur le territoire de la République laïque qui ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Charles de Gaulle est à ce moment scolarisé chez les Jésuites, le père de Charles de Gaulle décide que son fils continuera à être un de leurs élèves hors du territoire national. Charles de Gaulle va quitter la France pour la Belgique et il va préparer ses deux baccalauréats (latin-grec puis philosophie) à Tournai au château d’Antoing.

A partir de là, on peut se demander quel rapport peut être établi entre l’élève des Jésuites et le brancardier de Lourdes, l’homme du 18 juin 1940, le fondateur de la cinquième République. Il est clair qu’au plan personnel, Charles de Gaulle apparaît avoir durablement conservé la foi de son enfance et le Président de la République de Gaulle n’hésite pas à déclarer au Vatican le 31 mai 1967 : « Quels que soient les dangers, les crises, les drames que nous avons à traverser, par-dessus tout et toujours nous savons où nous allons. Nous allons, même quand nous mourons, vers la vie ». Cet aveu implique l’homme, ses convictions personnelles et n’engage que sa liberté de conscience.

Mais ensuite, il y a dans le vocabulaire du Libérateur de la France d’abord, puis dans celui du chef de l’Etat d’indéniables réminiscences d’une éducation chrétienne. Aujourd’hui, si les analystes politiques avaient le temps de relire ou de réécouter le général de Gaulle, ils dénicheraient avec délice ces éléments de langage révélateurs dans le discours gaullien. Tout d’abord il faut rappeler que Charles de Gaulle n’hésite jamais à faire usage de deux termes - foi et espérance - qui sont deux des trois vertus théologales que le christianisme a substituées aux quatre vertus cardinales de l’Antiquité – courage, tempérance, justice et prudence -.

Pour l’espérance, il y a d’abord l’appel du 18 juin : « L’espérance doit-elle disparaître ?  ». Et ces lignes des Mémoires de guerre durant la traversée du désert : « Vieil homme, recru d’épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid éternel, mais jamais las de guetter dans l’ombre la lueur de l’espérance !". Devant des étudiants à Toulouse le 14 février 1959, il déclare : « Oui, rien n’est meilleur que d’alléger le fardeau des hommes. Rien n’est plus grand que de leur offrir l’espoir ».

Pour ce qui concerne la foi, Charles de Gaulle écrit le 3 novembre 1943 : « Vingt siècles d’histoire sont là pour attester qu’on a toujours raison d’avoir foi en la France ». Dans ses derniers vœux au Français le 31 décembre 1968 il déclare : « Françaises, Français ! Au début de l’année, pour la réussite de la France, je vous souhaite à tous, la foi et l’espérance nationales ».

La foi, il la mêle à l’espérance dans un écrit du 3 octobre 1950 : « Jeanne fut appelée. Elle vint. Elle vit la France qui allait périr. Elle écarta l’écume des intérêts, des abandons prétentieux et habillés. Elle alla puiser au fond du peuple la Foi et l’Espérance secrètes, les dressa, les prit avec elle. Dès lors, elle pouvait bien subir, souffrir, mourir. Pour toujours elle avait gagné ». En 1956 à Saint-Cyr, songeant peut-être au moine-soldat Thierry d’Argenlieu, de Gaulle déclare qu’il est un renoncement plus grand que celui du soldat, c’est celui du prêtre. Le soldat renonce à tout pour sauver le sol de la Patrie, le prêtre renonce à la vie ordinaire pour le Paradis. Mais de Gaulle sait que le patriotisme a précédé le christianisme et que la France est un idéal qui appelle le sacrifice suprême de ceux qui ne croient pas au ciel. La Patrie, c’est la Mère-Patrie et dans une conférence de 1913 donnée à des officiers subalternes de Gaulle laisse entendre qu’on défend instinctivement sa Patrie comme on défend instinctivement une mère ; dans un Discours de Noël 1941 aux enfants de France, le général de Gaulle parle religieusement de « Notre-Dame la France ». On est alors en présence chez de Gaulle d’une mystique de la Patrie qui se rattache à une terre qui est une mère : « Ces morts, ces martyrs, ces soldats, la terre maternelle enveloppe désormais leur repos » déclare le général de Gaulle au Mont Valérien le 1er novembre 1944. Une femme, Jeanne d’Arc, s’est levée pour défendre la Mère-Patrie. Jeanne d’Arc, au même titre que de Gaulle, c’est la France. Dans son Ode à de Gaulle, Romain Gary rappelle que Roosevelt reprochait à de Gaulle de se prendre pour Jeanne d’Arc. Dans ses carnets, de Gaulle écrit cette phrase étrange : « Pardonnez-moi, je n’aime que la France ». A qui demander pardon si ce n’est à Dieu le Père que l’on a trop peu aimé en accordant trop d’amour à la Mère-Patrie ? Le 7 février 1966, le général de Gaulle écrit à Maurice Clavel : « Moi aussi, comme vous, je n’adore que Dieu. Moi aussi, comme vous, j’aime surtout la France ». La France, c’est la Mère-Patrie outragée, brisée, martyrisée qui appelait un sauveur et au début de ses Mémoires d’espoir, le général de Gaulle, accorde à son action historique une dimension sotériologique : « j’ai pu conduire le pays jusqu’à son salut ».

Homme de l’espérance, Charles de Gaulle a quelquefois été gagné par le désespoir. Le 6 août 1958, il écrit à Hubert Beuve-Méry : « Peut-être après tout, « rien ne vaut-il rien ». Mais dans ce cas, qu’importe que cette chose et celle-ci meurent, et nous tous ? ». Ce désespoir apparaît vite balayé dans le feu de l’action et par le souci de la place de la France dans le monde. L’histoire s’écrit : le récit aura-t-il un sens ? Dans une confidence à Michel Droit le 7 juin 1968 Charles de Gaulle lance : « Vous savez depuis quelque chose comme trente ans que j’ai affaire à l’Histoire, il m’est arrivé quelquefois de ma demander si je ne devais pas la quitter. »

Le jeune brancardier de Lourdes a été animé par la foi qui renverse les montagnes, mais devenu le grand homme qu’il sut être et plongé dans cette Histoire dont Sartre a pu écrire qu’elle est « une piscine pleine de boue et de sang  » il a découvert que mille épreuves semblent contrarier la volonté des hommes de bonne volonté.

En 1933 dans la revue de l’Infanterie paraît un article de Charles de Gaulle intitulé Le soldat de l’Antiquité : « Si l’on a pu dire qu’ « un grand homme sort de la rencontre d’un talent et d’une occasion » écrit de Gaulle, il est aussi vrai que la plus vaste faculté ne produit pas de grande œuvre, si l’instrument convenable ne lui est pas fourni. ». Le 18 juin 1940, le même Charles de Gaulle n’avait comme instrument qu’un micro de la radio de Londres. La débâcle de 1940 a été l’occasion pour Charles de Gaulle de révéler ce talent qui, dans des circonstances différentes, n’aurait jamais pu se manifester. Magie du verbe, et caractère proprement surnaturel de l’action du grand homme : de ce grand homme, dans son article de 1933, Charles de Gaulle dresse un saisissant portrait écrivant que « L’extraordinaire prestige d’Alexandre et de César revêt leur autorité d’un caractère proprement surnaturel … Ils s’appliquent, en public, à ne faire que des gestes, à n’exprimer que des pensées dont l’élévation correspond à la grandeur de leur entreprise. Contraignant sans cesse leur âme, ils obtiennent de tous ce respect inconscient qu’impose la maîtrise de soi-même  ». Au sujet du grand homme, Charles de Gaulle déclare que si l’on mesure les effets de son autorité, on ne peut l’expliquer pas davantage que la science ne saurait expliquer par synthèse la vie.

Comprendra-t-on jamais pourquoi un grand homme est un grand homme même avec le recul des ans ? Serait-il lui-même instrument de quelque chose qui serait plus grand que lui ? Il demeure pourtant et malgré tout, pour reprendre encore une expression sartrienne, « un homme fait de tous les autres hommes » c’est-à-dire, pour parler à la manière de Corneille, jamais totalement maître de lui-même pas davantage que de l’Univers. A la fin de sa vie, Charles de Gaulle note dans son carnet ces mots d’un Père de l’Eglise, Saint Augustin : Posse quod velit. Velle quod oportet (« Pouvoir ce que l’on veut, vouloir ce qui convient »). Le volontarisme gaullien a été placé par lui-même sous le signe du salut qu’il fallait vouloir apporter à la Mère-Patrie et au-delà, par la puissance d’une parole que l’on entendait bien au-delà des frontières hexagonales, au monde. Mais ce n’est qu’avec un prudent « peut-être » qu’il a conçu son action comme relevant de la volonté divine à l’œuvre dans le monde. Dans une missive adressée au Pape Pie XII le 29 mars 1944 il écrit : « Des circonstances, peut-être providentielles, ont groupé derrière nous, en une seule volonté de vaincre et de refaire la France, non seulement l’Empire français, mais aussi la masse de tous ceux qui, dans la métropole défendent contre l’envahisseur l’unité et la souveraineté nationale  ». Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans l’Histoire humaine ? Le 12 septembre 1943 à Oran, Charles de Gaulle écrit : « Les forces du bien sont dressées contre les forces du mal  ». Mais à Alger, le 18 juin 1943, Charles de Gaulle évoque « ces forces supérieures, que les Anciens, appelaient « Destin », Bossuet « Dieu », Darwin « loi de l’espèce » et qui, par-dessus la volonté des hommes président aux grands événements  ». Si quelque chose dépasse la volonté des hommes, on ne peut pas toujours ce que l’on veut. Charles de Gaulle a connu des échecs, des déconvenues à commencer par le plus terrible : en septembre 1940 le cuirassé Richelieu –fleuron de la Marine française demeuré fidèle à Vichy – tire sur les avisos de la France libre. A ce moment, la foi de Charles de Gaulle vacille et l’espérance avec elle. C’est à ce moment qu’il aurait songé à sortir définitivement de l’Histoire par un geste désespéré.

Charles de Gaulle, qui est demeuré malgré tout l’homme de l’espérance, n’a peut-être jamais lu ce qu’a écrit Thomas d’Aquin de cette vertu théologale : « L’espérance, écrivait le Docteur de l’Eglise, est un milieu entre la présomption et le désespoir, par rapport à nous ; il y a présomption quand nous espérons de Dieu un bien qui dépasse notre condition, et il y a désespoir quand nous n’espérons pas selon notre condition ce que nous pouvons espérer. Mais par rapport à Dieu, il ne saurait y avoir surabondance d’espérance car sa bonté est infinie ». Il n’y a jamais un surcroît d’espérance et il faut donc rejeter le désespoir par une action résolue où la foi en Dieu apparaît devoir rejoindre une foi humaniste qui ne se laisse pas ensorceler par les sirènes du nihilisme. Si Charles de Gaulle avait une foi chrétienne il pouvait, étant devenu président d’une République laïque, professer surtout une foi humaniste que l’on résume bien souvent à la déclaration du 25 mars 1959 : « Car en notre temps, la seule querelle qui vaille est celle de l’homme. C’est l’homme qu’il s’agit de sauver, de faire vivre et de développer ». Cette phrase n’est pas prononcée dans un contexte serein puisque le général vient d’évoquer la possibilité d’un cataclysme nucléaire dans le contexte de la guerre froide. Face à cette menace, Charles de Gaulle plaide en faveur d’une « organisation fraternelle », pour le développement et pour « améliorer les chances de la vie et de la paix  ». Le propos gaullien apparaît revêtir un caractère utopique face à une situation internationale qui pourrait conduire « l’Univers à la mort !  ». Mais déjà, un peu plus d’un mois plus tôt, à Toulouse Charles de Gaulle rend hommage aux chercheurs, maîtres et étudiants « qui servent celui qu’il faut servir, c’est-à-dire l’homme tout simplement ». De Gaulle achève ce grand discours de Toulouse par le mot espoir et souligne que dans une époque de progrès scientifique où la vie pourrait être améliorée, le progrès est mis au service des armes de guerre « Eternel combat de l’Archange et de Lucifer ». Le général se pose alors en défenseur d’une culture humaniste, philosophique, littéraire et artistique donc « pour le développement de l’esprit, par la connaissance de ce qui est beau et par le culte de ce qui est bon ». 

L’Archange et Lucifer, la Lumière ou les Ténèbres, qu’est-ce qui peut l’emporter ? La question peut être posée autrement : l’esprit l’emportera-t-il contre la matière ? A l’université d’Oxford en 1941, se rappelant vraisemblablement la terre de France et ces lieux comme Lourdes où souffle l’esprit, Charles de Gaulle avait soulevé la question en ces termes rappelant à une jeunesse qui sait que « les idées mènent le monde » que le fascisme a prospéré à partir de l’agrégation de masses uniformisées par les techniques, cette massification s’opposant au développement d’une civilisation menant à la reconnaissance de la liberté de l’esprit et du développement de l’individu.

Le jeune brancardier de Lourdes était devenu, animé par la foi et l’espérance, celui que les circonstances historiques portaient à contribuer à inverser le cours de la tragédie mondiale.

  

 Gwénolé Le Mest