Jeanne
Cherhal « L’envie de départ, c’était de faire un disque
organique. » confirme Jeanne. Les plus distraits ont rangé l’auteure-compositrice-interprète
- révélation de l’année aux Victoires de la musique 2005 - dans la case
« trentenaires racontant le quotidien des gens de sa génération. » Or,
Jeanne n’a pas encore trente ans. Et l’Eau confirme aujourd’hui qu’elle
ne se laissera pas de sitôt enfermer dans cette catégorie. Sans jamais
renier Douze fois par an, son album précédent, la chanteuse affirme
aujourd’hui une personnalité bien plus affirmée. « Je me sens très différente
d’il y a trois ans. J’en ai appris pas mal, je suis devenue plus exigeante.
Sur ce disque, j’ai voulu mettre mon grain de sel partout. Je n’ai pas
pu m’empêcher de vouloir que tout soit comme je le sentais. » Jeanne Cherhal a mis à profit une année de
liberté pour aborder aussi posément que possible la confection de L’Eau.
« C’était la première fois que je faisais une vraie pause. J’ai commencé
les concerts à l’âge de 20 ans et ne me suis arrêtée qu’en août 2005.
Avoir fait 200 concerts avec des musiciens a changé mon rapport à la
musique. Cela m’a donné envie de penser plus en tant que musicienne,
plus seulement en parolière qui fait des mélodies et s’accompagne au
piano. C’est pour ça que j’ai tenu à faire des maquettes. » Jeanne s’est
enfermée dans son appartement parisien pour dompter un logiciel de musique
lui permettant de concevoir des ébauches de ses nouvelles chansons.
« J’ai passé un peu plus d’un an à préparer des maquettes toute seule.
Ainsi, je voyais la couleur que je voulais donner à chacune des chansons
avant même d’aborder le travail en studio. » Au moment d’enregistrer,
elle a la riche idée de confier à Albin de la Simone, accompagnateur
très demandé et artiste original, la lourde tâche de réalisateur. «
J’avais envie de travailler avec lui depuis que je le connais. Il est
très talentueux et en plus il comprend bien ma musique. Il s’est beaucoup
investi dans le projet. » Ils assemblent un groupe de musiciens : François
Lasserre (guitare) et Philippe Entressangle (batterie), accompagnateurs
d’Albin rejoignent Eric Löhrer, fidèle guitariste de la chanteuse, ainsi
que le Britannique Simon Edwards (Talk Talk, Beth Gibbons, Bashung).
L’ingénieur du son Jean-Baptiste Brunhes complète l’équipe. « Un garçon
enthousiaste et extrêmement doué » témoigne Jeanne. Ce petit comité
s’isole au Studio Vega, à Carpentras, à l’écart des pressions parisiennes.
« Ca me séduisait beaucoup que ce soit loin de Paris, que personne ne
puisse passer. On est sortis du studio uniquement pour aller voir finale
de la coupe du monde dans un petit village à côté. » La véritable découverte sur L’Eau, c’est la
voix de Jeanne Cherhal. Ou plutôt ses voix. Pour la première fois, la
chanteuse harmonise, s’amuse à superposer parties de chants, chœurs
et contrechants avec une virtuosité et une inventivité époustouflantes.
La seconde, c’est l’espace laissé au sein de chacune des compositions,
qui s’alanguissent dans des climats à la fluidité impressionnante. «
Aujourd’hui, je n’ai pas peur des silences. Je suis devenue une musicienne
qui écrit des textes. » Pianiste de formation, Jeanne s’est même autorisée
à jouer pour la première fois de la guitare sur Voilà. « J’étais partie
m’isoler une semaine à Annecy avec un clavier et un ordinateur pour
écrire. Rien n’en est sorti. Quelques jours plus tard, j’ai composé
Voilà sur une vieille guitare pourrie.» « Ca y est c’est décidé / Je
vais tout décider / Sans me faire envahir / Sans me faire emmerder »
chante-t-elle sur ce titre aux allures de déclaration d’intention. Partout
ailleurs, Jeanne adopte une écriture volontiers elliptique, qui fait
la part belle à l’interprétation individuelle. « Je me suis moins attachée
à des choses anecdotiques, à raconter des choses du quotidien. » explique-t-elle.
Un texte comme celui de Merci témoigne de cette nouvelle manière. «
Je l’ai conçu comme un petit film. Je n’aurais jamais osé écrire un
texte aussi abstrait il y a deux ou trois ans. » Et lorsqu’elle aborde
un thème aussi précis que l’excision sur On dirait que c’est normal,
c’est avec délicatesse et pudeur. « La première mouture de ce texte
était beaucoup plus violente. » confirme-t-elle. Beaucoup entendront
sans doute dans Une tonne une chanson empathique sur l’obésité, mais
il ne s’agit bien sûr pas de cela. « C’est le premier texte que j’ai
écrit pour cet album. Ce n’est évidemment pas de poids physique que
je parle. » La chanson bénéficie d’un arrangement de cuivres signé Fred
Pallem, du Sacre du tympan. « C’est le disque que je voulais faire. Ce que j’avais
dans la tête s’est réalisé. Il me ressemble. » avoue
Jeanne Cherhal. Avant de l’enregistrer, elle a multiplié les expériences
artistiques. « J’ai passé une année assez angoissée. Après avoir tourné
pendant deux ans, il fallait que je fasse des choses. Je ne pouvais
pas rester une année entière sans aucun impératif ni contrainte. » On
l’a retrouvée à l’affiche des Monologues du vagin, tous les soirs pendant
trois mois à la fin 2005. « J’avais vu la pièce à Avignon, ça m’avait
bouleversé. La metteur en scène m’a appelée en pensant que ça pouvait m’intéresser.
» Elle a également monté le duo de reprises Red Legs avec JP Nataf.
« Un grand bonheur. On se comporte comme des débutants : on fait des
premières parties, on joue dans les bars… J’adore garder un pied dans
ce truc là. » Elle a aussi, pour la première fois, offert un titre à
un de ses artistes de référence, Jean Guidoni. « C’était stimulant d’écrire
pour un mec qui a eu une carrière pareille. Ecrire pour d’autres, c’est
quelque chose que j’ai envie de refaire. » Enfin, on va la découvrir
bientôt au casting du Soldat Rose, composé par Louis Chedid.
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