Traversée centrale des Pyrénées :
éléments de choix
Risque d'engorgement routier : les chiffres parlent
d'eux-mêmes
- Des
chiffres :
- En
1985, 3 800 camions traversaient les Pyrénées;
- En
2000, ce trafic a été multiplié par quatre;
- 2,6 millions de poids lourds traversent chaque année les Alpes contre
4,8 millions pour les Pyrénées. Le trafic à travers les cols et
les vallées des Pyrénées est donc pratiquement deux fois plus
important que le transit France-Italie dans les Alpes;
- 7 600 camions par jour en moyenne, en 2001, sur l’axe Hendaye-Paris,
dont 3 000 en transit pour les autres pays européens;
- Le
trafic total croît de 8 à 9 % par an, entre la France et l’Espagne;
- Répartition actuelle des volumes : 4 à 5 % pour le rail, 22 % pour
le maritime (mais 4 % en valeur), le reste pour la route;
- 80
millions de tonnes de marchandises transitent dans les deux sens,
trafic concentré aux deux extrémités de la chaîne. Ce trafic devrait
atteindre 200 millions de tonnes en 2020;
- Les experts fixent à 32 000 poids lourds par jour le seuil de
saturation d’une autoroute à trois voies. Ce seuil pourrait être
atteint. Mais la saturation sera encore plus rapide, par exemple
en Aquitaine, où la RN10 est à deux voies entre Bayonne et Bordeaux.
Le Projet : "Briser la Chaîne" en son centre ?
-
Le nouveau projet de TCP est défini comme étant une "liaison ferroviaire
en tunnel basse altitude, à grande capacité de fret". Le transport des
personnes est exclu. C’est un projet de "ferroutage". Ferroutage :
poids lourds chargés sur une plate-forme ferroviaire. Transport combiné :
transport direct des marchandises par train avec des gares "multimodales"
(Estrétefonds au nord de Toulouse et Saragosse).
-
Les objectifs de la TCP sont :
- de
détourner 35% du trafic total pyrénéen sur une nouvelle voie
ferrée centrale (Agen-Saragosse). Le reste de l’augmentation de
trafic prévisible serait réparti sur deux autres voies : Pau-Canfranc
(réhabilitée) et Perpignan-Figueras (avec un tunnel de 8 kilomètres
sous le Perthus – voir ci-après);
- d’obtenir le plus vite possible un TGV structurant pour la partie
Atlantique de l’Europe;
- de
s’attaquer au problème du transport routier;
- Quatre tracés sont évoqués :
- Variante 1 : Labastide-Arudy-Sabinanigo-Huesca par les
vallées d’Ossau et du Gallego (tunnel de 43 km).
- Variante 2 : Ossun-Pierrefitte-Sabinanigo-Huesca par
les vallées du Gave de Pau et du Gallego (tunnel de 41 km).
- Variante 3 : Lannemezan-Saint Lary-Aïnsa-Monzon par les
vallées d’Aure et du Cinca (tunnel 43 km).
- Variante 4 : Loures Barousses-Luchon-Pont de Suert-Monzon
par les vallées de la Garonne, de la Pique et de la Noguera Ribagorçana
(tunnel 53 km).
- La variante 2 (Pierrefitte-Biescas), la plus souvent citée, comporte
une double voie ferrée, une rampe maximale de 12% et une quarantaine
de kilomètres sous les Pyrénées. Pierrefitte est à 480 m et Biescas
à 800 m (15 km au nord de Sabinanigo, sur la voie ferrée Canfranc-Oloron).
Un tunnel doit être aussi percé sous le chaînon du Monrepos pour rejoindre
Huesca. Déjà, un projet de tunnel sous Gavarnie a été étudié en 1990
par le Conseil Général des Hautes-Pyrénées et le Conseil Régional
Midi-Pyrénées. Le tunnel sous Gavarnie semble être préféré au tunnel
sous le Vignemale (longtemps évoqué). Du point de vue géologique,
le percement sous Gavarnie est préférable selon les experts.
Ferroviaire : autres projets.
- Le
tracé du TGV Perpignan-Figueras avec le tunnel du Perthus (8 km) est
actuellement à l’enquête publique (avec un nouveau projet de passage
d’une ligne THT). Il permettrait le raccordement du réseau ferré UIC
espagnol (Barcelone-Perpignan) à celui de l’Europe.
- Le
projet de TGV Dax-Irun-Pampelune, étudié en 1993 par le Conseil Régional
d’Aquitaine – et soutenu par l’Autonomie Basque - a été contesté par
les écologistes : gain de temps faible, nouvelle saignée qui saccagerait
le sud des Landes (vertes collines, champs de maïs, propriétés privées,
impacts sur l’environnement). Ses atouts : coût peu élevé et
gestion amélioré des flux centraux.
- Une
autre liaison a été imaginée : Dax-Vitoria, plus littorale, avec
un volet transport de voyageurs plus important. Il a aussi le soutien
de Autonomie Basque.
- La
liaison Toulouse-La Tour de Carol-Barcelone. La gare de La Tour de
Carol (trois voies ferrées, trois écartements, trois alimentations
électriques, trois langues) a été rénovée en 1992.
Routier : autres liaisons.
- Une
autoroute est réclamée par la Navarre et les Pyrénées-Atlantiques
par la vallée basque des Aldudes.
- Aujourd’hui, l’axe E9 routier double l’ancienne RN20 et permet une liaison
plus rapide entre Toulouse et Barcelone, via le tunnel de Puymorens.
- Voir
aussi, plus loin, le chapitre "Les diverses liaisons transfrontalières
existantes" : route, tunnel, aqueduc, gazoduc, ligne électrique,...
Le Financement de la TCP.
Le
coût prévisionnel est de 5 milliards . Le massif est "plus épais" côté
espagnol et la longueur du tunnel plus importante en Aragon. Ces données
interviennent dans la clé de répartition du financement des travaux ;
- Pour
l’Europe, le financement de ce type d’ouvrage est envisagé pour partie
par la taxation des poids lourds, à l’instar de ce qui a été imposé
par la Suisse.
- Des
élus pyrénéens proposent un partenariat secteur public-secteur privé.
- La
construction du tunnel routier de Bielsa avait été rendue possible
grâce à la manne de l’hydroélectricité.
- Rappel : Sur une même distance, une tonne de marchandise transportée
par la route coûte cinq fois plus cher aux collectivités que celle
acheminée par rail. De plus le rail apporte un gain de rentabilité
sociale et de bien-être : moins d’accidents, de pollutions, de
bruits, de congestions économiques, d’impacts paysagers et environnementaux.
La TCP et l’Europe.
Le
chantier du tunnel basse altitude pour ferroutage entre Turin et Lyon
(54 km), vient d’être ouvert. Pourquoi un telle réalisation pour les
Alpes et seulement encore un "projet" pour les Pyrénées? Parce que les
alpins ont développé, dès 1970, l’idée de ferroutage alors que ce type
de projet pyrénéen n’a été évoqué qu’en début des années 1990, notamment
par les VERTS. Il est vrai qu’en 1970, un développement du trafic aussi
rapide était difficilement prévisible. L’Espagne sortait à peine de
l’isolement franquiste. Aujourd’hui, la flotte des poids lourds ibériques
est la plus performante et la plus compétitive d’Europe.
Les
alpins ont convaincu l’Europe avec un dossier soigneusement préparé :
pétitions signées par des millions de citoyens, puissant lobby réunissant
les régions, les départements et les villes, patrons et syndicats (CGT)…Et
tout le monde s’était accordé sur un tracé !
Mais,
récemment :
- Le
séminaire du Conseil Régional Midi-Pyrénées de juillet 2001
à Toulouse,
- le
rapport de Dominique BECKER du ministère français des Transports,
- le
Livre Blanc de la Commission Européenne sur les choix en
matière de transport à l’horizon 2010,
- et
les actions des associations favorables à la TCP,
ont
montré que la situation était plus préoccupante aujourd’hui pour les
Pyrénées que pour les Alpes. D’autant que l’élargissement de Europe
à l’Est pourrait avoir d’importants effets en terme de transit pyrénéen.
Malgré
les saturations prévisibles aux extrémités de la chaîne :
- nous devons savoir qu’une étude a été lancée, en octobre 2001, pour
la liaison TGV Angoulême-Bordeaux dans le cadre du renforcement
du réseau TGV Ouest. L’Aquitaine et Poitou-Charente font d’ailleurs
ici le choix du ferroviaire plutôt que celui des infrastructures
routières.
- que l’axe rhodanien bénéficie d’une récente liaison TGV et de deux
voies ferrées classiques qui intéressent la partie Est du massif
pyrénéen.
Par
ailleurs, la croissance du trafic aérien pose de tels problèmes qu’il
n’est pas envisageable de résoudre l’engorgement pyrénéen par ce type
de transport.
Ces
données peuvent inciter l’Europe à inscrire le projet de TCP au Schéma
Directeur Européen des Transports. Mais, à l’heure actuelle, dans les
documents de la Commission Européenne, la TCP arrive seulement en 16°
position dans l’ordre de ses projets – et de ses préoccupations
- en matière de transports.
Les relations économiques du Sud-ouest français
avec l’Espagne :
Elles
concernent les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon
et le Nord espagnol regroupant le Pays Basque, la Navarre, l'Aragon
et la Catalogne.
Compte
tenu de la localisation des grands pôles industriels de l'Espagne du
Nord - essentiellement la Catalogne et les Asturies - les flux économiques
transfrontaliers les plus importants passent aux extrémités de la chaîne
(Perthus à l'Est, Béhobie à l'Ouest). Il n’y a pas de raisons évidentes
pour qu’aujourd’hui ces flux traversent la zone centrale des Pyrénées,
sauf pour de faibles quantités.
Quelques observations pour saisir cette réalité :
*
en ligne droite l'axe Paris-Madrid passe par Saint-Sébastien;
*
la seule agglomération de Barcelone (3,5 millions d'habitants) représente
1,5 fois la population de la région Midi-Pyrénées;
*
le Nord de l'Espagne assure 40 % du commerce extérieur espagnol dont
un dixième seulement concerne la France;
*
le Sud-ouest représente 8 % du commerce extérieur de la France, mais
moins d'un dixième est relatif à l'Espagne.
Le principe de précaution vaut aussi en économie !
- Le
percement d’un tunnel dans la partie centrale de la chaîne n'est donc
peut-être pas aussi prometteur qu'on l'imagine pour le Sud-ouest et
pour les pyrénéens en général;
- Il
s'agit d'une opération très coûteuse, car il faut aussi inclure les
équipements complémentaires (plateformes multimodales, routes d’accès
à ces gares, rails, mise aux normes européennes de l’écartement des
voies ferrées espagnoles,…);
- Les
liaisons ferrées existantes – ouvertes en toutes saisons (Somport,
Cerdagne) - pourraient être améliorées et suffiraient à écouler le
surplus prévisible de trafic économique concernant le Sud-ouest;
- Le
renforcement du transport maritime côtier (cabotage) en Méditerranée
et dans l’Atlantique doit aussi être envisagé avant de lancer l’étude
d’un gigantesque nouveau projet de TCP;
- Il
ne suffit pas d’avoir un "bon tuyau", encore faut-il être assuré que
les marchandises y passeront. Le tunnel du Perthus devrait servir
de test. Le trafic ferroviaire doit y être multiplié par cinq pour
que la TCP soit vraiment envisagée (Stéphane THEPOT – Le Monde).
Une opportunité pour préserver et valoriser le massif ?
Le
massif des Pyrénées a déjà payé cher, en terme d'écologie et de qualité
de vie, pour ses nombreuses liaisons transfrontalières.
La
nouvelle " Traversée Centrale des Pyrénées (TCP), " liaison
ferroviaire à grande capacité de fret ", concernerait moins directement
le milieu montagnard (écosystème et cadre de vie) qu’un tracé routier
en altitude puisqu’il devrait s’agir du percement d’un tunnel en basse
altitude. Néanmoins, ce projet soulève au moins trois interrogations
importantes :
- Celle de l’accroissement des transports des marchandises à travers
le continent européen (les tulipes de Hollande croisent les oranges
d’Andalousie !). Peut-on accepter sans sourciller cette augmentation
prévisible du trafic de fret transitant par les Pyrénées ?
- Celle du développement économique, la nouvelle liaison constituerait-elle,
pour notre zone de montagne, un levier pour la relance de l’économie
locale ?
- Celle de la " gouvernance en Pyrénées ". Peut-on étudier
la TCP, le choix de son tracé, sans l’envisager dans le cadre plus
large d’autres projets d’aménagements (touristiques, notamment),
de traversées : routes, rails, aqueducs, gazoducs, THT,…et
de leurs impacts sur la montagne et le piémont pyrénéen ? Sans
se préoccuper de la préservation des fragiles écosystèmes montagnards ?
Comme
pour tous les réseaux qui innervent les Pyrénées - le choix des tracés,
des points de jonction et des lieux de franchissement de la frontière
- reviennent toujours les mêmes arguments : "atout déterminant", "inacceptable
lacune" ou encore " chaîne des Pyrénées, fond de cul-de-sac". D’où,
de nombreux projets de tunnel évoqués aussi par certains élus régionaux
(tous les 60 Km!).
Le
Développement Durable doit être ici évoqué pour vérifier si le projet
de TCP peut être conforme à ses principes : la relation entre valeur
économique et valeur écologique, la biodiversité, l’écocitoyenneté,
le droit des générations futures, la subsidiarité, le principe de précaution
(fondé sur l’incertitude), la prise en compte du long terme dans toute
prise de décision, le processus de " germination ou d’imprégnation
(sensibilisation, formation,…), la prise en compte de la valeur réelle
des ressources naturelles au-delà des comptes d’exploitation, la transversalité
et la transdisciplinarité, l’irréversibilité de certaines actions, la
différenciation de nos espaces (montagne, zone humide,…), notamment
au niveau fiscal,...
Mais
aussi :
- la
nécessité de création d’emplois pour aujourd’hui et pour les générations
à venir ;
- l’importance de l’implication de la société civile.
Le contexte (très) local en Pyrénées Centrales :
* Il est acquis que les " traversées " actuelles ne seront
en mesure d’absorber l’accroissement prévisible du trafic, les couloirs
Est et Ouest étant saturés (et, déjà, il passe actuellement deux fois
plus de poids lourds dans les Pyrénées que dans les Alpes !) ;
* Le secteur économique demande la TCP avec insistance. Localement,
en France comme en Espagne, cette traversée est globalement considérée
comme " un plus";
* Ce nouveau projet de TCP est à peu près consensuel lorsqu’il
s’agit de le faire inscrire au Schéma Directeur Européen des Transports.
Mais, ce consensus éclatera lorsqu’il faudra choisir parmi les quatre
tracés proposés au coeur des Pyrénées;
* Les Etats et les Régions assumeront l’essentiel des 5 à 10 milliards
d’euros prévus pour le financement de ce projet (sans doute le double
à l’arrivée);
* Les communes riveraines sont très réservées. Voir passer un train
de marchandises - sans doute à grande vitesse – est ressenti comme contre-productif
du point de vue touristique;
*
Les autonomies basques et catalanes sont contre une traversée centrale
qui les priverait, par soustraction de trafic, d’importantes retombées
économiques;
* Un important projet de liaison Gavarnie-Bujaruelo par téléporté
est en discussion;
* Les associations d’environnement internationales comme MPPM ou
le CIAPP, ou les fédérations régionales SEPANSO et UMINATE, demandent
que des mesures de protection des Pyrénées soient obtenues avant le
lancement d’une énième étude pour la TCP.
Quelques données politiques locales.
* Politiquement, ce sont surtout les présidents des Régions Midi-
Pyrénées Marc CENSI hier et Martin MALVY aujourd’hui) et Aragon (Marcelino
IGLESIAS) avec les Conseils Economiques de ces régions qui portent le
projet. L’Aquitaine suit le mouvement. La Navarre serait d’accord si
ça passait chez elle. Les villes de Toulouse et Bordeaux, le Languedoc-Roussillon
et surtout la Catalogne se désintéressent de cette traversée trop centrale
pour elles. Le Conseil Général des Pyrénées-Atlantiques et l’Autonomie
Basque espagnole y sont opposés. Les transporteurs routiers espagnols
pèsent de tout leur poids pour faire échouer le projet.
* Face à un projet aussi peu unanime sur le choix du tracé, on
n’a pas vraiment avancé. Les Etats (France, Espagne, Andorre) se contentent
de prêter une oreille bienveillante.
* Les autonomies basque et catalanes sont remarquablement absentes
du lobby de la TCP. Elles concentrent en effet l’actuel trafic routier
et maritime. De plus, la réalisation des liaisons ferrées (Perpignan-Figueras
et Dax-Pampelune) renforcera leur position.
*
Des associations s’intéressent ou soutiennent la TCP : "Transpirinenca"
(Catalunya, CCI de l’Ariège et Andorre), l’association internationale
"TGV Sud-Europe Atlantique", Eurosud Transport, le Comité de soutien
local (des VERTS en sont membres) a été constitué à Tarbes en mars 2000
à Tarbes.
* Concernant la TCP, des élus VERTS de Midi-Pyrénées expriment
le sentiment "qu’il pourrait s’agir d’une idée séduisante" dans
laquelle les écologistes pourraient fortement s’impliquer.
*
Au Parlement Européen, le PPE, le PS, le PC et les VERTS ont déjà
déposé une demande pour une inscription prioritaire de la TCP dans les
programmes européens. Auparavant, un accord doit être trouvé entre le
Parlement européen, la Commission européenne et les gouvernements concernés.
|