Billet d'humeur n° 3

"On ne fait pas d'omelette sans casser les œufs", ce dicton aussi populaire qu'irréfutable, vous le connaissez tous. Ce serait vous faire injure que de vous le présenter autrement qu'à titre d'excuse, mais je ne savais pas trop comment commencer ce billet calmement. J'aurai pu l'intituler "Guerre et Paix", mais j'ai trouvé ce titre bien que justifié, trop célèbre pour chapeauter  mon modeste baratin. Et puis dans le fond de mon cervelet ressurgit l'idée qu'il s'y cache un épisode de notre Histoire qui ne ressort pas à notre avantage.

Ce matin encore une personne me demandait après avoir lu mon dernier billet d'humeur: « C'est quoi ces sautes d'humeur ?» Eh non! Ce ne sont pas des sautes d'humeur. Mon humeur est toujours uniformément mauvaise lorsque je trouve que quelque chose ne vas pas dans le bon sens. Je sais, je "m'empourròte* " facilement (même des fois quand j'ai tort). Çà m'arrive. Ce n'est pas à 77 ans que l'on pourra me changer. Il parait que lorsque j'étais tout petit, je souriais tout le temps. Il faut alors admettre que c'est la vie qui m'a forgé comme je suis. Que peut-on faire contre la Vie ? Mourir ? Alors je préfère rester tel quel.

 Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos œufs cassés. Cet après midi, j'ai été me promener au Bois de Lourdes. J'aime bien, je m'y sens chez moi. Souvent avec mon VTT, j'en parcours les chemins du Couret, d'Escoutagats, de Castet de Bern. Ils sont beaux, calmes et frais, de vrais chemins de promenade.

Aujourd'hui plus rien n'est comme avant. C'est la Guerre, c'est 14/18. D'abord il y a des moucherons, puis des moustiques hargneux et surexcités et en suivant des taons avec des rostres comme les marteaux-piqueurs de la DDE. Déjà en entrant dans le bois, la rogne me saute à la gorge et commence à m'étrangler. Depuis la tempête de Janvier, notre Bois de Lourdes est jonché de cadavres d'arbres déracinés. Ravagé par des coupes nécessaires j'en conviens, le plateau de l'Arriù-Tort ressemble de plus en plus au plateau de Craonne. Mais le plus navrant, c'est l'état des chemins complètements labourés par les engins de débardage. Difficile de faire autrement je l'admets. Ils sont infranchissables sinon à pied, en pataugeant dans la boue. Ici sur le chemin des Abeilles, je passe en revue les troncs démembrés d'une trentaine de chênes centenaires.  Je grimpe "la Côte 304"vers la Malèsse, traverse attristé le Bois des Caures  pour passer en plein désarroi "le Chemin des Dames", et…et… essoufflé, je suis obligé de tempérer ma colère, « on ne fait pas …je sais!»

Là j'en reviens à me première citation. Elle me calme en me faisant penser aux omelettes de mon enfance. C'est la Paix. Maman travaillait dur, souvent et surtout "en saison" les journées de douze heures étaient normalisées. Mais elle nous laissait toute latitude pour notre gouter en rentrant de l'école. Les menus n'étaient pas très variés. C'était suivant l'humeur du jour et le contenu du garde-manger. Le pain, en était la base. On l'accompagnait de chocolat ou de confiture et souvent on le frottait avec une gousse d'ail, une petite pissée d'huile et un peu de sel. Mais l'omelette, c'était notre régal. Nous cassions les œufs dans un grand plat creux. En principe c'est Henri qui les battait doucement en prenant soin de bien lever la fourchette afin d'aérer le mélange. Moi, je m'occupais ensuite de la cuisson. Je savais la faire bien baveuse. On se régalait. Mais surtout, il ne fallait pas laisser les traces de nos agapes. La vaisselle était faite. Je la lavais, Henri l'essuyait. Assiettes et couverts bien rangés dans le buffet, les coquilles dans la poubelle, plus rien n'était visible de l'Omelette et des œufs cassés. La seule preuve que maman avait de notre menu, c'est qu'il manquait six ou huit œufs dans le garde-manger.

Fier des principes qui m'ont été inculqués, je souhaite seulement que les forestiers les appliquent à Subercarrère et effacent toutes les traces de leur passage. Qu'ils remettent en bon état ces jolis chemins qui sont les jardins naturels de notre Bois. Je suis persuadé qu'ils le feront, car cet endroit est trop beau pour le laisser complètement saccagé. Si ces travaux pouvaient être accélérés afin que les visiteurs de l'Été en aient une autre image….

* Mot Gascon : s'empourròter, c'est s'emporter rapidement. 

                                                                                                                                                                                                               René Delhom

Photos René Delhom