Récit n°3

Dimanche 16 Mars-2008 : 1ère étape, Paris-Provins/107km.

CA Y EST ! C’est le jour J. Nous voici réunis au Trocadéro. La Ville de Paris a mis gracieusement à la disposition de la Fédération Française de Cyclotourisme cette magnifique esplanade. Devant nous se dresse impressionnant, superbe, roide comme un juge de Paix, le monument que le monde entier nous envie : la Tour Eiffel, emblème phallique de la puissance Française. Bof ! Là, je crois que je pousse le bouchon un peu loin. Mais bon, c’est dit, il suffit maintenant de le croire.Alors voilà, les cinq groupes de Cyclos sont rassemblés pour la grande aventure. Des milliers de spectateurs sont venus admirer et encourager ces aventuriers des temps modernes.

‘’De l’Atlantique à l’Oural’’ il avait dit. Dépassé le Grand Charles, et pourtant il voyait loin le bonhomme. Dépassé par notre Fédé qui a décrété : DE LA SEINE AU FLEUVE JAUNE !

Le ruban tricolore coupé par Henri Sérandour président du CNOSF en compagnie de J-F. Lamour et de notre président fédéral Dominique Lamouller, les Routards Sympas engagés dans cette balade entament avec prudence les 12.000 km. qui les séparent de l’arrivée. J’ai troqué ma coiffure nobiliaire de Pacha contre un casque estampillé aux normes européennes de sécurité. Je suis moins reconnaissable, mais c’est plus léger et surtout plus efficace en cas de chute. Nous longeons les quais de la Seine, aussi fiers que le président de la République sur les Champs Elysées un jour de 14 Juillet. Une foule de Cyclos bigarrés nous accompagne, peloton multicolore qui s’étire sur plus de 2 km. Nous quittons Paris avec tout de même un petit pincement au cœur. Qui sait ce qui nous pend au bout du nez lors de ce périple ?

Tout va très bien pendant les trente premiers kilomètres. Soudain, un déluge aussi violent qu’inattendu s’abat sur nous. Il m’a eu le marchand de casque quand il m’a dit : « Avec celui là, vous êtes à l’abri des chutes. » La vache ! Il ne m’a pas spécifié que celles des Cumulo-nimbus, n’étaient pas comprises dans le prix. Le soleil revient timidement comme s’il s’excusait de nous avoir laissé tomber. Vient enfin l’heure attendue du pique-nique, je saute promptement de ma monture. Bien la béquille, très bien, elle m’évite de chercher un endroit où garer rapidement Céleste en lui épargnant un appui néfaste à son épiderme. J’aurais du garder ma citrouille sur la tête. Peut-être que mon grade reconnu m’aurait réservé une chaise. Mais je ne râle pas longtemps. Ici, pas de place pour les privilèges, le cul par terre comme les copains ! C’est trop humide, et tout compte fait, on est très bien en position verticale, le casse-croûte descend mieux et plus bas. Dans une campagne verdoyante, nous pédalons sagement et sans fatigue nous arrivons à Provins où monsieur le Maire nous offre une chaleureuse réception aussi chaleureuse qu’appréciée à l’Office de tourisme.

Lundi 17 Mars : 2ème étape, Provins – Rosières-prés-Troyes/107 km.

L’Aube d’un jour sinistre a blanchi les hauteurs ! Ce n’est pas de moi ça, c’est un certain Heredia qui l’a écrit. Ce doit être un bon Cyclotouriste, car il décrit comme un poète ce que nous avons sous les yeux ce matin. Il faudra qu’en rentrant, je demande à Dominique s’il était inscrit à la Fédé. Nous pénétrons effectivement dans ce département de l’Aube, la campagne givrée scintille de milliers de petits cristaux glacés. Il fait froid, mais ça se réchauffe peu à peu et somme toute nous passons une journée agréable. Enfin une côte ! Certainement la première d’une longue série. La côte de Mongueux nous fait lever les fesses de dessus la selle. Ah, que c’est bon ! Nous sommes logés à l’Auberge de Jeunesse et la réception organisée par les autorités locales, est naturellement arrosée au Champagne.

Mardi 18 Mars : 3ème étape, Troyes – Langres/ 136km.

Une minute de recueillement, est observée à la mémoire du dernier POILU, Lazare Ponticelli et des millions de combattants de la Grande Guerre. Les départements que nous traversons, gardent encore les traces de celle qui devait être la ‘’der des der’’. Il est 8h40 lorsque le départ est donné. La matinée est frisquette avec un vent de face qui ne réchauffe pas l’atmosphère. Les groupes se sont étirés, chaque capitaine garde un œil vigilant sur ses ouailles. Les 80 premiers kilomètres, sont assez plats, si toutefois on compte les faux pour vrais. Puis arrivent les montées de plus en plus raides ou j’ai vu certains prudents mettre tout à gauche. Eh oui ! C’est ici en haut que prennent leur source : la Seine et le Marne. La verte campagne se met en frais (humour) pour honorer notre passage, elle nous offre sa première floraison. Quelques hardes bienvenues de sangliers et marcassins en nous stoppant pour les regarder, permettent mine de rien de reprendre haleine. Arrivés à Langres nous admirons ses formidables fortifications. La désormais traditionnelle réception à la mairie finit de retaper nos organismes malmenés. Un repas pris en commun, et c’est la bonne nuit assurée pour tous.

Mercredi 19 Mars : 4ème étape, Langres – Vesoul/90km.

Je lis le commentaire du jour de la Fédé : « Sur les terres froides de l’est de la France vivent des hommes et des femmes particulièrement courageux. » C’est mille fois vrai. Ils ont écrit des pages magnifiques et parfois terribles de l’histoire industrielle de notre pays. Mais pensez-vous que dans le reste de la France il n’y en a pas aussi ? Même que dans un certain coin de l’hexagone, on les appelle des Fadas. Ce matin nous quittons Langres dans les giboulées de neige. Il n’y a plus de fringues dans les valises, nous avons tout sur le dos. Groupe après groupe nous partons en courbant le dos et en rentrant les oreilles dans la cagoule. Ah ! Que je vous dise. Il y a deux Chinois avec nous. Ils s’appellent Lizhao Hou et Yu Xu Dong. Je préfère écrire ces noms que de les prononcer, car il faut vraiment être enrhumé pour arriver à les énoncer correctement. Ce qui étonne le plus nos Asiatiques dans notre rando, ce sont les repas. S’ils sont un peu déconcertés au début, ils trouvent vite le système pour engloutir rapidement tout ce que les cantines présentent. C’est la première fois dans une rando fédérale que l’on peut se taper deux ‘’Jaunes’’ sans que l’on nous fasse une réflexion désagréable. D’une gentillesse sans limite, c’est un vrai boulot que de leur tenir conversation. Un seul parle convenablement l’anglais, heureusement que nous Français, nous avons des mains ‘’ discoureuses’’. Ca sert !

Nous essuyons de grosses giboulées juste avant Morey où nous devons pique-niquer. Le soleil est de retour l’après-midi. Est-ce une promenade de récupération ou la pensée qu’il reste encore plus de 4 mois à torturer notre popotin sur les rivets de la Brook qui calme le jeu ? Toujours est-il que pénardement nous arrivons à Vesoul sur une piste cyclable ‘’extra confort’’….. Et puis ! Et puis ! Il y a une équipe de Pernes-les–Fontaines qui nous accompagne. C’est du concentré de soleil Provençal dans les brumes du Nord particulièrement appréciable. Qu’est ce que ça fait du bien de les entendre. Et puis ! Et puis c’est l’inévitable réception à l’Hôtel de Ville qui fait chaud au cœur et à l’estomac. Quoi que ? Si ça continue à ce rythme, en arrivant à Pékin, nous aurons le foie comme les oies de Toulouse avant la Noël.

Jeudi 20Mars : 5ème étape, Vesoul-Mulhouse/129km.

Whouaw ! A gla-gla ce matin, -2° sur la piste cyclable. Heureusement que l’hiver est maintenant derrière nous puisque c’est le premier jour de printemps. Il y a une chose qui nous motive et chacun garde pour soi ce secret de Polichinelle. Comme nous avançons vers l’est, à chaque fuseau horaire, nous gagnons une heure ce qui fait qu’arrivés à Pékin, nous serons plus jeunes que nos amis restés en France. Philéas Fogg était le pionnier de ce système. Mais pour le moment, le départ est plus ‘’matinal’’ chaque matin, et plus il est tôt, plus il fait froid C.Q.F.D. En pédalant, on se réchauffe vite, seuls les appendices inertes comme les doigts, les oreilles etc.… sont plus longs à réagir. La journée est belle et la vie aussi. C’est dans cet état d’esprit que nous arrivons à Belfort. Nous sommes accueillis au pique-nique par monsieur le Maire et le club local. Savez-vous comment s’appelle la rivière qui coupe la ville en deux ? Eh bien, elle s’appelle la Savoureuse. Savez-vous comment s’appelle notre casse-croûte ? Il s’appelle le Savouré. Tout a une fin dit-on même les bonnes choses, et nous voilà repartis en direction de la fameuse trouée de Belfort qui fait communiquer les vallées du Rhône et du Rhin. Nous passons devant le fameux Lion sculpté par Bartholdi. Là je ne puis m’empêcher d’étaler mon érudition. Ce lion allongé au pied de la citadelle, représente la résistance que la ville a opposé à toutes les tentatives d’invasion, notamment à celle de 1870 ou 16.000 Français ont résisté à 40.000 Prussiens pendant 1 mois. Vingt et un jours après la signature de l’armistice et sur ordre formel du gouvernement, le Colonel Denfert-Rochereau consentit à se rendre. Son courage et sa ténacité obtinrent de Bismarck que le sort de Belfort ne soit pas confondu avec celui de l’Alsace et de la Lorraine. Il devint ainsi le chef-lieu du petit territoire. La température est montée et une tranquille décontraction permet de nous éberluer devant le phénoménal chantier de la ligne en construction pour le passage du T.G.V. Ce qui ne nous empêche pas d’admirer au passage les magnifiques villages Alsaciens. Mulhouse sera ce soir notre ville étape. C’est surtout une ville industrielle dont la rivière qui la traverse est bien connue des cruciverbistes. En trois lettres : l’Ill ! Gagné.

Vendredi 21 Mars : 6ème étape, Mulhouse-Fribourg 82 km.

‘’Beth ceü de Paü, quan te tournerey bedé ?’’ Oh, je ne chante pas le célèbre chant Pyrénéen, non ! J’implore simplement. Beau ciel de Pau quand donc te reverrai-je ? Il est huit heure, nous sommes prêts pour le départ. Des giboulées apocalyptiques nous bloquent sur le pas de la porte. L’eau, la neige, le vent enfin tous les ingrédients sont réunis pour faire une belle saucée. « Le Cyclotourisme est un sport de plein air » qu’ils disent à la Fédé. Ouais ! Ouais ! Je suis sûr que Dominique est en train de penser à nous derrière son ordi., le cul bien au sec, la tasse de café avec la queue tournée du bon côté à portée de main . Il est gentil, mais des fois il a quand même de ces idées !!!!. Ici c’est la tourmente et il nous faut démarrer car la police munici-pale et plus que pâle est là qui nous attend, sous la douche, ils font plutôt triste mine. Service ! service ! Ils sont là pour nous escorter, ils feront quoiqu’il arrive leur service jusqu’au bout. Jusqu’au bout, mais pas plus loin. A la limite communale règlementaire, ils s’éclipsent, abandonnant nos groupes dans la nature déchaînée. Nous sommes un peu pommés, un peu sonnés, un peu perdus enfin un peu de tout ce qui fait une grande détresse.

A force de tourner et retourner les cartes sous l’averse glacée, tourner et retourner pour garder le vent dans le dos, nous arrivons à retrouver le Nord. Cette première heure a été très éprouvante, mais elle a permis de raffermir nos caractères déjà bien trempés. Nous passons la frontière allemande, au revoir la France !. Je connaissais Randonneurs sans frontière, je connais maintenant Mauvais temps sans frontière. Les averses se succèdent chez nos cousins Germains. La campagne est riche. De gras pâturages, des vignobles ensoleillés quand il fait beau. Beaucoup de cultures sous serres aussi, comme on les comprend ! Le temps se lève enfin lorsque nous entrons dans Fribourg terme de l’étape. La réception organisée par la Municipalité et l’Office de tourisme de Fribourg est plus que généreuse. Madame le Consul de France est venue nous féliciter et encourager, nous sommes au Paradis après avoir connu l’Enfer. Le dîner prévu à 18h., se termine à 19h.. le service devant être terminé à cette heure là. Tant mieux, la soirée n’en sera que plus longue pour nous relaxer. Nous déplorons le premier abandon. Celui de notre camarade Jacques Eon. Il abandonne malgré nos encouragements à continuer. Il n’arrive pas à trouver le sommeil et ne peut de ce fait récupérer les forces nécessaires pour continuer la route. Il est vrai que l’hébergement impromptu de 120 personnes est difficile à gérer. Le nombre, la promiscuité dans des locaux communautaires, n’offrent pas le confort douillet du Grand Hôtel de la Grotte. La foule est bruyante par nature. La nuit, ça se couche, ça se lève, ça va pisser et ça tape les portes, ça ronfle et ça… j’en passe. Ca tient davantage du Pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle que d’un voyage sur l’Orient Express. Et encore sur le Chemin de Compostelle, on peut offrir ses souffrances et ses déplaisirs au bon St. Jacques, mais nous ici même si nous les offrons à Vélocio, les retombées spirituelles n’auront ni la même puissance ni la même efficacité pour nous propulser vers notre but. A moins que Bouddha…. Qui sait ?

René Delhom

Photothèque FFCT
Mis en ligne jeudi 27 mars 2008-11h15

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