Récit n°2

Mercredi 5 Mars 2008

Sous le regard chagriné de ses amis Lourdais, la silhouette encapuchonnée d’Alain s’éloigne vers l’horizon chargé de gros nuages gris. Le ciel Bigourdan est triste lui aussi. Seul comme Luky Luke, le cyclo solitaire sur son nouveau vélo fédéral que depuis quelque temps il a appris à maîtriser, suit son chemin imperturbablement. Au bas de la côte du Carmel, il jette un rapide coup d’œil vers la Grotte de Massabielle et promet à la Vierge qu’à son retour il viendra y allumer un cierge gros comme un poteau télégraphique. Mais tout s’arrange à la montée de Sarrastets, le cœur entièrement occupé par sa fonction naturelle ne peut plus se soucier d’états d’âme superflus. Engloutissant un maximum d’images magnifiques que les Pyrénées enneigées lui offrent dès son entrée dans les Pyrénées-Atlantiques, il retrouve son copain de Bosdarros. Par les coteaux ensoleillés du Béarn et du Vic-Bilh dont les redoutables côtes torturent les mollets ils s’éloignent difficilement des Pyrénées. Si Fébus est là pour leur dire un dernier au revoir, Eole s’est aussi invité à la fête, mais comme il a pris la direction inverse de celle des randonneurs, sa présence est jugée plutôt intempestive. C’est avec un gros soupir de soulagement, chargé de beaucoup de sentiments contradictoires qu’ils arrivent à Nogaro.

Le club de Nogaro ne déroge pas à la générosité et à l’hospitalité Gasconne. Tout est prévu dans leur gîte-étape Compostellan. Je vous prie de croire que le confit d’oie, bien coincé entre le pousse-rapière et le floc de Gascogne a tôt fait de requinquer nos pédaleurs et effacer les traces laissées par les 145km. qu’ils viennent de ranger dans la sacoche.

Jeudi 6 Mars

Santé de fer, jambes d’acier mais paupières de plomb, ce matin Alain prie le ciel de rester clément. Il est persuadé que dans l’état ou l’a laissé la soirée Nogaroliene, au moindre coup de foudre c’est lui qui fait office de fusible. Mais non Zeus a laissé ses attributs foudroyants au vestiaire pour assister souriant au laborieux départ. Il pousse même sa malice en laissant Eole souffler de tout son saoul à la face de nos amis. Les coteaux se succèdent, après ceux de piémont Pyrénéen, ce sont les coteaux de Bergerac qui tentent de décourager ces deux insensés qui les bravent. Le Pacha sent bien maintenant, que rien ne pourra l’arrêter. A l’aise sur sa bicyclette qu’il apprécie de plus en plus, il cherche quelque comparaison pour lui donner un nom. Une monture de cette classe il faut la baptiser’’ Mille Dious’’ «  Ce n’est pas un mustang aux relances nerveuses, ni même un destrier armé pour le combat. Non ! Elle est placide, robuste, supportant la charge avec aisance, régulière dans la progression et d’un confort impressionnant. Avec ses gros caoutchoucs sous les pattes qui savent s’écraser et amortir les chocs, bon sang, mais c’est bien sûr, c’est un PACHYDERME ! Mais un pachyderme élégant tout de même, du type éléphant d’Asie. C’est ça, et c’est ce qu’il me faut puisque c’est là que je vais. Bon je ne vais pas faire de chichis, je vais tout simplement appeler ma randonneuse : Céleste. Céleste est l’épouse de Babar le roi des éléphants et reine de Célesteville, pas de rouspétance s’il vous plait, c’est adopté. Ma randonneuse est baptisée Céleste. » Il est tiré de ses cogitations par des appels joyeux. Quarante Cyclos de Bergerac sont venus à leur rencontre. Rouler en peloton, bien à l’abri, est grandement apprécié, car les 160 km. face au vent, échauffent les rotules les mieux lubrifiées. Très bonne soirée chez un ami cyclo où seul dans sa chambre il continue ses essais de spiritisme en vue de son arrivée au Tibet. Il m’a choisi comme médium, et ça marche. Dorénavant, il parlera par ma plume !

Vendredi 7 Mars

Aujourd’hui, le vent est tombé. Eole s’est dégonflé devant l’opiniâtreté Pyrénéenne. Les côtes se font plus rares. Céleste est à la fête, elle peut faire jouer toute sa puissance sans se déhancher. Elle ne s’en prive pas. Bien sûr, un peu plus de chaleur ne la gênerait pas. Il fait frisquet ce matin, mais elle maintient son allure régulière. Fièrement elle reste en tête du peloton, lorsque les Cyclos de Piégut se rangent à ses côtés. C’est l’arrivée à Cussac dans la Haute-Vienne qui ajoute 145 km. à notre actif. Nous faisons étape à la base d’activité de VTT. FFCT. Dans un confort qualité prix remarquable. A recommander aux familles en vacances.

Samedi 8 Mars

Céleste trompette sans arrêt, elle semble impatiente, mais ce n’est qu’après un copieux petit déjeuner que nous cédons à ses caprices pour nous renseigner sur leurs raisons.  ‘’ Objets inanimés avez-vous donc une âme ’’ ? Bien sûr que oui, alors pensez lorsqu’ils sont animés. Céleste a senti le beau temps qui régnait dehors, les caoutchoucs vibraient sous ses babouches. J’eus à peine le temps de poser mes pieds sur les pédales que déjà, elles entamaient une ronde effrénée. En somme, une étape de rêve, qui nous permet sous un soleil revenu d’assouplir nos muscles légèrement coincés par les efforts des journées précédentes. Un  tapis d’asphalte roulant à souhait, c’est la joie quoi ! Pour terminer cette splendide journée, les Cyclos de Châteauroux viennent à notre rencontre, font un bout de route avec nous et nous offrent un pot d’accueil à l’arrivée. Cussac – Mézières-en-Brenne,150km. au compteur, la forme est là.

Dimanche 9 Mars

Je crois rêver, j’entends des imprécations tonitruantes : «  C’est pas possible ! C’est pas possible ça ! Mais c’est pas possible ! » Pas de doute, c’est l’Abbé Pierre qui sonne le réveil. Mais non je ne rêve pas. C’est tout simplement mon copain de chambre qui est devant la fenêtre et qui clame son désarroi. Je le rejoins pour connaître les raisons de son état. «  Diou biban ! Tu as raison, c’est la Mousson. Qu’est ce qu’on va prendre aujourd’hui. Je crois que nous sommes entrain de nous taper Paris-Pékin en raccourci. » Et nous voilà partis sous une pluie battante. Heureusement elle sera entrecoupée de quelques éclaircies qui permettront de nous sécher un peu pour mieux prendre la douche suivante. Après une chevauchée de 140km. pas marrante du tout, nous sommes accueillis à Meung-sur-Loire/ St-Ay par des amis du comité directeur de la Fédé : Samuel Neulet, vice-président et Yves-Marie Marchais responsable de la formation qui nous hébergera : ‘’à la fortune du pot’’. Dire que le pot était fortuné sera encore en dessous de la vérité. Merci pour cette hospitalité plus que généreuse.

Lundi 10 mars

Oh douce nuit ! Oh sainte nuit ! ben oui quoi, c’était le paradis. Le réveil nous renvoie au purgatoire. Le ciel est couvert, mais il faut partir. Courageusement Yves-Marie tient à nous escorter. Jean-Pierre Rouxel participant à Paris-Pékin se joint à nous. Et de suite nous sommes dans le bain pour jouer une version farfelue et totalement inédite des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, car c’est nous qui subissons. La tempête, la pluie, le vent, rien ne nous est épargné. Des vents à cent km./h. quand ils soufflent dans notre dos, c’est l’euphorie, la Croisière s’amuse…, enfin presque, nous arrivons à grand’peine à enclencher les pédales tellement nous filons ’’grand largue’’. Mais lorsque le vent tourne vicieusement sans crier gare, alors là, bonjour la galère, on rame dur ! Suivant son humeur changeante, soit il nous balance dans les bas-côtés, soit il essaye de nous glisser sournoisement sous les roues des gros camions qui nous doublent. Heureusement Céleste inébranlable et déjà expérimentée, se joue calmement de tous ces pièges. L’accueil chaleureux de madame le Maire d’Epernon, réchauffe nos carcasses endolories, et nous fait oublier les 100km. épouvantables que nous venons d’accomplir.

Mardi 11 Mars

La dernière étape sera aussi la plus courte. Dans la magnifique vallée de Chevreuse qui nous mènent d’Epernon à Ivry-sur-Seine, pédaler durant 80km. est un vrai bonheur. Sans aucune honte nous nous identifions à tous les champions, qui ont écrit dans ces hauts lieux du cyclisme la légende des cycles dont notre jeunesse s’est régalée. Les côtes qui la terminent, les 17 tournants, Port-Royal, Châteaufort , de l’Homme mort, sont avalées moins vite que par les champions, mais nous avons une excuse majeure : nous les dégustons. Nous arrivons ainsi fins prêts au siège de la Fédération Française de Cyclotourisme, pour accomplir en pleine forme notre rêve : PARIS-PEKIN à vélo. Une paille !     A suivre….

René Delhom

Photo René Delhom
Photothèque FFCT

Mis en ligne lundi 17 mars 2008-18h35

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