Récit n°7

Mardi 8 Avril 2008 : 22 ème étape, Belgrade – Pozaverac / 95km.

Le départ à 8h.30 s’effectue sans difficulté, puisque pour ne pas déroger à la règle Serbe, la bienveillante police soucieuse de notre sécurité, nous guide gentiment en essayant de ne pas trop nous stresser, car nous manquons d’habitude pour ce genre de compagnie. Mais soyons justes ils nous rendent plus de services qu’ils ne nous créent d’encombrements. Les cyclistes locaux qui eux aussi roulent avec nous, font tout leur possible pour nous distraire sur cette route qui dévoile un paysage sans attrait. A Smederevo, la puissante forteresse domine le Danube et protège le port. Smederevo a surtout bénéficié de la restructuration économique. Elle abrite l’immense complexe sidérurgique Sartid que vient de racheter le consortium U.S. Steel. Mais ce Danube, quand nous le retrouvons au détour d’un méandre calme et puissant, qu’elle image d’éternité il nous offre. Nous descendons à l’hôtel Donau, sans être un palace, il nous assure un confort suffisant pour nous remettre d’une journée assez tristounette, mais facile.

Mercredi 9 Avril :23ème étape, Pozaverac – Golubac / 86km.

Ma pomme ! ma Pomme ! C’est moi ha ha ha ! Sans s’cousse, je m’ pousse. Cette chanson de notre immortel Maurice Chevalier me vient à l’esprit ce matin. Allez savoir pourquoi, mais j’ai l’humeur fantaisiste. Je suis tout simplement en train de m’apercevoir que je suis heureux. Heureux de cette fantastique randonnée, heureux de l’ambiance et de la solidarité du groupe noir que j’ai le plaisir de ¨driver¨, heureux d’avoir des capitaines de route qui assument avec une grande compétence leurs responsabilités, heureux de la beauté des Pays traversés, heureux des accueils qui nous sont réservés par les représentants des organismes officiels, heureux de la gentillesse des gens que nous rencontrons, heureux de voir que tous les participants à cette énorme aventure, pédaleurs ou accompagnateurs sont HEUREUX. Eh oui, on se pousse tranquillement vers la sortie de l’Europe. Demain nous en aurons terminé de la gentille et jolie Serbie. Au départ, nous faisons le plein d’eau, pas des bidons comme vous pourriez le penser, mais de nos réservoirs de réserve que les pompiers remplissent aimablement. Quatre mille litres sont désormais à notre disposition, Il y a là de quoi servir quelques pastis. Les forteresses ottomanes jalonnent notre route, celle de Ram par sa position stratégique surplombant une courbe du Danube, est particulièrement impressionnante. Elle a du connaître des batailles meurtrières. En a-t-on vu de belles choses ? mais celle qui nous est offerte lorsque à la sortie d’un virage le Danube réapparaît, les dépasse en splendeur. La forteresse de Golubac se dresse au loin. Après quelques gorges resserrées, le Danube s’étale à nouveau pour atteindre 6 km. de largeur. Au bord d’une grande courbe du fleuve, se cache la petite ville de Golubac. Veillant sur le bord du Danube, encastrée dans la colline rocheuse la forteresse parait inexpugnable avec ses neuf tours et ses remparts crénelés. L’hôtel Golubaçki Grad nous offre un pot d’accueil avec le gâteau traditionnel et un verre de Slivoviça qui vous ferait grimper le Tourmalet avec 52x12. Ici, il nous fait simplement oublier la tristesse des lieux. Mais si l’intérieur est un peu fatigué, la merveilleuse vue extérieure compense largement ce petit défaut. En fin d’après-midi, Monsieur le Maire est venu nous souhaiter la bienvenue accompagné d’un groupe de danseurs folkloriques dont les prestations furent longuement ovationnées. Un repas roboratif (j’allais dire ro-bouratif) nous est servi. Il nous incite à aller se coucher sitôt fini pour palier à une digestion qui peut s’avérer difficile. Un peu dans le style du boa qui vient d’avaler un phacochère. Dobro nóc !

Jeudi 10 Avril 2008 : 24ème étape, Golubac – Turnu­Severin / 125 km.

Dobar dan ! c’est facile de dire bonjour en Serbe (avec la méthode Assimil !). Bonne nuit calme et reposante. Nous allons traverser aujourd’hui une des parties les plus sauvages du cours du Danube. Nous passons en revue la formidable forteresse, chaque pierre à sa place, tout est en ordre. Dont acte. Les gorges du Danube apparaissent sauvages, démesurées. Les gorges du Tarn à côté de cette sombre entaille feraient office d’échantillons. Le Danube qui s’y engouffre ressemble davantage à l’Achéron qu’au paisible fleuve que nous côtoyons depuis quelques jours, tout doucement d’abord puis de plus en plus impressionnant. Dix neuf tunnels se succèdent et ce n’est qu’à une quarantaine de kilomètres plus loin, après le 16ème tunnel que le relief s’adoucit à nouveau. Les Portes de Fer libèrent le passage et l’admiration inquiète ressentie tout au long de ce parcours qu’aucun adjectif dans le langage humain ne peut décrire. Un gigantesque barrage routier relie la Serbie à la Roumanie, la douane se trouvant au milieu. Ce contrôle douanier me rappelle la rentrée des classes quand j’étais gosse au matin du 1er Octobre. L’appel nominatif, des 102 cyclos me rajeunit de cinquante ans. C’est rigolo ! Dovidenja Srbija ! Bunã ziua Romãnia ! Nous voici arrivés sans ennui et un peu écrasés quand même par le gigantisme des paysages et des ouvrages rencontrés. Inimaginable depuis notre petite France. C’est beau la France, mais ailleurs, ce n’est pas mal non plus. Le confort de l’hôtel et le bon repas qui nous est servi, s’ils ne remettent pas les pendules à l’heure, nous rénovent complètement. Quant aux pendules, nous nous en chargeons nous même, puisqu’il faut les avancer d’une heure, changement de fuseau oblige.

Vendredi 11 Avril 2008 : 25ème étape, Turnu­Severin – Craïova / 114 km.

Le départ est donné symboliquement par des enfants et leurs surveillants, qui agitent en signe d’amitié, des petits drapeaux aux couleurs roumaines. Ce sera le seul soleil de cette morne journée. Nous roulons plein Est dans la grande plaine d’Olténie, vaste région poussiéreuse et sans relief. Le Danube, sans nous en avertir a tourné à droite coulant calmement vers le Sud. ¨Chacun sa route, chacun son chemin¨ comme le chante Tonton David. La route est assez confortable, ce qui est une bonne consolation. Pauvre région, pauvres paysans. Les troupeaux de chèvres que nous croisons, ne sentent pas la richesse, surtout les boucs. De grandes usines polluantes à souhait, lancent dans les airs leurs nuages nauséabonds qui nous font regretter les odeurs toutes naturelles que nous venons de respirer. Des travaux de voirie, nous rendraient l’entrée de la ville assez compliquée, mais grâce à l’omniprésente et bienveillante police, tout est facilité. Paysage, narration, hébergement, repas, rien à dire, tout est plat.

Samedi 12 Avril 2008 : 26ème étape, Craïova – Rosiori de Vede / 105 km.

Ce matin je roule, mais j’ai la tête ailleurs. J’essaie de comprendre la Roumanie profonde, elle est certainement trop profonde, car je n’en discerne pas les fondements. Imaginez un Pays où vous ne voyez que des champs à l’infini, ces champs sont couverts de céréales, travaillés par des tracteurs si gros que ceux de la Beauce ont l’air de porte-clefs. Des petits avions survolent ces immensités en répandant leurs nuages chimiques. Bon ! je me dis, enfin un Pays riche au milieu de la misère et puis d’un seul coup, la pauvreté croise votre route : une antique charrue, le cheval devant, le laboureur arc-bouté derrière. Ce tableau augmente ma perplexité. En voyant cet homme dos rond et bras tendus, je me demande si c’est le cheval qui tire ou si c’est le pauvre paysan qui pousse. Je ne m’étonne plus si ces gens préfèrent trimarder chez nous que trimer chez eux. J’ai au moins compris ça. Pour une fois, notre Organisation est désorganisée, mais elle se réorganise rapidement, et à notre avantage. Il était prévu que ce soir nous bivouaquerions. Mais la gentillesse de ces gens, n’est pas une légende monsieur ! Refusant de nous laisser dormir à la belle étoile, Monsieur le Maire de Rosiori de Vede nous ouvre en grand les portes de son gymnase. La gymnastique chez eux est une religion, et la salle spacieuse et propre nous permet pour la première fois de disposer d’une chambre à 117 lits. Comme on fait son lit, on se couche, et il faut avouer quand même que ces dames dormiront mieux que nous. 4 semaines déjà passées, 2920 km. parcourus depuis le Trocadéro, et 3850 depuis Berbérust. Mais tout va bien à bord, nous roulons comme un seul homme.

Dimanche 13 Avril 2008 : 27ème étape, Rosiori de Vede – Bucaresti / 141km.

Ho ! ce n’est pas le Négresco où j’ai failli passer mes dernières vacances. Il ne s’en est manqué que de deux mètres. La distance entre les prix affichés et le réceptionniste à l’accueil. Bon sang ! je suis sûr qu’ils font la facture en comptant dedans la date et le numéro de téléphone. Qu’elle frousse rétrospective !! Ici ce n’est pas le cas et j’ai passé une nuit aussi tranquille sur un lit de camp dernier cri, avec un matelas pneumatique autogonflant, mais sans souci pour la facture. Ce que j’ai particulièrement apprécié, ce sont les douches. Cette fois-çi, il y a eu de l’eau pour tout le monde, elle était froide. Cent dix sept personnes dans la piaule même si elles sont discrètes, ça fait toujours un peu de bruit. Mais ce soir, c’est raisonnable pour qui a tant soit peu l’habitude des refuges de montagne. Dans la nuit, un orage a éclaté, mais seul le bruit du tonnerre nous a bercé. Avant le départ, nous faisons une nouvelle fois appel aux pompiers, ils répondent présent sans un pli de sourcil. Les camions ont besoin d’un sérieux lessivage, les Pompiers qui savent comment s’y prendre, nous les rendent brillants comme des sous neufs. Tout le monde démarre. Et la plaine, toujours la plaine monotone avec des lignes droites à n’en plus finir. Heureusement pour atténuer cette morosité, il y a les rencontres fortuites. C’est un transport en commun typique du pays, ou un poids lourd de la même marque qui déambulent à petite vitesse. Les villas biscornues et rococo, à la décoration tapageuse sentent le parvenu, le nouveau riche qui fait de l’épate avec le mauvais goût que l’orgueil inspire On les voit paradant dans les rues, les doigts chargés de bagues en or comme ceux d’une cartomancienne, appuyés sur des voitures de luxe pour attester leur propriété, souriant sans besoin, simplement pour mettre en valeur leur dentier en or. Horreur ! Les roulottes Tziganes sont dans le fond beaucoup plus sympathiques et dans leur vérité me plaisent davantage. Des cyclistes Roumains amenés par Leonte Florin de la Fédération Roumaine de Cyclisme, viennent à notre rencontre. Leur gouaille incomprise nous fait chaud au cœur. Sur les quatre mille kilomètres parcourus, nous n’avons rencontré que des amis. Qu’il serait beau le monde si les marchands de canons se mettaient à fabriquer des vélos !

René Delhom

Mis en ligne jeudi 17 avril 2008

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