Récit n°6

Mercredi 2 Avril 2008 :17ème étape, Györ - Budapest/145km

Plaine ! ma plai ai ne ! Tu peux chanter oui, mais si tu étais avec nous tu l’apprécierais ¨grand amplement¨ comme le disait ton copain Marius. La plaine ici, c’est le contraire des coups de bâtons, ça fait du mal quand ça s’arrête. D’abord tout va très bien, nous roulons ¨fédéralement¨ à vitesse fédérale sur des bicyclettes fédérales et, comme nous sommes cinq petits groupes réunis dans la même fédération, avec un esprit sincère et indéfectible de confédérés. Nous traversons donc cette immense plaine qui maintenant est entièrement cultivée. Des champs à perte de vue ponctués seulement de villages pauvres où des chiens faméliques regardent avec envie nos mollets appétissants. Des machines agricoles datant de la Reine Hortense, des charrettes transportant les familles tirées par des chevaux, des charrues antédiluviennes qui même en les regardant avec grande compassion et grande tolérance ne ressemblent en rien au char de Ben-Hur, trahissent le retard industriel et agricole du pays. Et nous pédalons, nous pédalons, quand tout à coup, une petite bosse surprend Céleste. Elle s’était laissée prendre au train train soporifique d’une randonnée sans relief. Un léger coup d’index derrière l’oreille droite lui fait changer de vitesse, un autre petit coup pour diminuer encore ses efforts et la symbiose joue à plein. Il faut dire que sans avertissement, la plaine s’est fripée dans ce coin, et la distance ajoutée à ces petits ‘’coups de cul’’ nous fait apprécier les jeunes pistards de l’équipe Olympique Hongroise venus à notre rencontre et qui, sans nous ¨flinguer¨ nous facilitent l’entrée à Budapest. Pour satisfaire aux obligations relationnelles, nous avons séparé notre caravane en deux groupes. Le premier va au Ministère des transports où il est reçu par Adam Bodor chef de cabinet du Ministre et vice-président de la Fédération Cycliste Européenne. Il présente un diaporama sur de la Fédération Hongroise pour le développement du Cyclisme et du Cyclotourisme dans son Pays. Il espère travailler pour cela avec la F.F.C.T. qui en prend bonne note. L’autre groupe s’en va à l’Institut de France où attend Monsieur René Roudault Ambassadeur de France, entouré des membres de l’Institut. La T.V. Hongroise a pu filmer la brillante réception qui est offerte. Elle n’a pas manqué de poser beaucoup de questions sur notre expédition. C’est impoliment la bouche pleine que nous répondons, car tout en nous régalant du discours de bienvenue, le buffet servi nous fait obligatoirement tourner les yeux à 90° par rapport aux oreilles. Magnifique buffet aux saveurs de France que des cyclos sevrés aux barrettes énergétiques ne peuvent dédaigner. Un grand merci Cardio-Gastrique est adressé à l’Institut qui a su allier les paroles qui touchent le cœur et les succulences qui témoignent de l’art le plus apprécié par des cyclos en fin de randonnée. Il est un grand dommage qui fait l’unanimité dans notre croisière, mais qui est incontournable : le manque de temps pour la visite des villes étapes. Ce sont nos arrivées tardives, prolongées par les réceptions officielles et les corvées particulières et obligatoires pour préparer le lendemain qui en sont les causes. Alors…bonne nuit !

Jeudi 3 Avril 2008 :18ème étape, Budapest- Dunaujvaros/ 104km.

C’est presque la gloire ! Ce matin, la T.V. suit une trentaine de cyclos pendant quelques kilomètres. Je soupçonne que certainement il y a là-dessous de l’espionnage industriel ! Toutes les questions qui nous sont posées par les reporters, tournent toujours sur la question : Comment avec un simple vélo peut-on faire autant de kilomètres en si peu de temps ?. Et les caméras de nous filmer par devant et par derrière, par-dessus et par-dessous, tournicotant autour de nous à la recherche de je ne sais quel moteur ou stratagème propulseur secret. Ils sont quand même obligés au bout d’une bonne dizaine de kilomètres d’admettre que se sont nos seuls mollets d’acier qui permettent une telle performance. Les James Bond Magyars en sont pour leurs frais, surtout que la nature nous favorise par une douce température et par le plus joli cadeau qu’elle puisse faire à un cyclotouriste : le vent dans le dos. L’enquête se poursuit à l’intérieur des locaux de la Télé, mais les inquisiteurs n’obtiendront et pour cause aucune modification à nos assertions. Nous reprenons notre progression vers Dunaujvaros, nous nous regroupons pour passer sur un tout nouveau pont suspendu qui normalement est interdit aux cyclistes mais dont les autorités locales nous ont accordé une autorisation spéciale. Nous profitons de cette faveur qui nous fait arriver suffisamment tôt, pour soigner nos petites personnes. Nos amis ostéopathes ont du pain sur la planche, mais ils s’en tirent avec les honneurs et surtout avec les remerciements des cyclos soulagés. Pour vous parler de notre ville étape, que dire sinon que c’est une ville industrielle assez récente, mais qui parait surtout dépassée techniquement, montée chichement et résultat probant de la grande planification socialiste.

Vendredi 4 Avril 2008 : 19 ème étape, Dunaujvaros - Subotica/134km.

Aujourd’hui, un bruit court dans le peloton, le plus dur de la balade sera … de passer la frontière, car nous allons entrer en Serbie. Mais l’entière confiance en notre organisation n’assombrit pas notre moral. C’est le cœur aussi léger que la pédale que nous roulons sur de bonnes routes ouvertes seulement aux cyclistes de Paris-Pékin. Quand je vous disais que la popularité donnait des avantages ! Merci la Télé hongroise et mes excuses pour mes soupçons infondés sur vos mauvaises intentions d’hier. En réfléchissant sur vos questions cette nuit, celle-ci, comme il se doit m’a porté conseil et réponse. « Tu sais m’a-t-elle susurré dans le creux de l’oreille, ce n’est pas avec leurs ¨ traùque-sègues *¨ qu’ils peuvent randonner aussi facilement que toi, alors ne te moques pas ». Bon OK. Je double mes excuses en quittant la Hongrie. Nous voici arrivés au point tant redouté. Redouté et pourquoi ? L’Ambassade de France représentée par M. Bruno Boyer, avait déblayé le chemin administratif, et c’est le vélo à la main et sur simple présentation de notre passeport que nous passons la frontière. Trois coureurs cyclistes Serbes sont venus à notre rencontre et c’est en leur compagnie et celle de la vigilante police locale que nous faisons notre entrée à Subotica. Ce qui nous étonne le plus, c’est l’accueil bonhomme et l’amabilité des gens d’ici. Ils font tout pour nous aider et nous rendre service. Ils ne comprennent pas plus notre langue que nous la leur, mais avec une gestuelle internationale qui parfois tape à côté de la plaque, nous arrivons à nous entendre dans de grands éclats de rire. Quel bon Peuple !

* Traùque-sègues : Perce-haies, en Gascon dans le texte. Vélo en mauvais état, seulement capable de projeter son cavalier dans les décors.

Samedi 5 Avril 2008 : 20ème étape, Subotica - Novi-sad/105km.

Grande ville au nord de la province de Voïvodine, Subotica est remarquable par ses nombreux monuments baroques et surtout par son incroyable Hôtel de Ville. Toujours gentiment accompagnés de la police aussi efficace que discrète, nous entamons ce parcours. Céleste somnole sur ces longues lignes droites bordées de champs labourés. La route bétonnée que nous empruntons, n’est pas des plus confortable, mais Céleste bien équipée pour cela avec ses gros tampons de caoutchouc modère aisément les soubresauts désagréables. Le ciel maussade n’incite pas à l’exubérance, la campagne est vide, pas d’animaux, très peu de gens, ce n’est pas une journée folichonne. Seuls de temps en temps, quelques silos à grain rompent la monotonie du paysage et nous rappellent que des hommes vivent ici. Le seul point positif pour nous, c’est qu’il n’y a presque pas de circulation. Et nous voilà à Novi-Sad. Seconde ville du Pays avec 300.000 habitants, elle exprime une atmosphère sympathique faite à la fois d’une grave sérénité slave et d’une allégresse toute balkanique. M. le Maire ne déroge pas à la sacro-sainte règle de la réception vespérale, et nous reçoit somptueusement dans sa Mairie. La place Trg Slobode où se situe l’Hôtel de Ville et l’impressionnante Cathédrale est le centre de Novi-Sad. Nous profitons de ces instants de liberté si rares pour faire provision de petites bricoles utiles à l’entretien de notre ¨beauté physique¨

Dimanche 6 Avril 2008 : 21ème étape, Novi-Sad – Belgrade/82km.

A force de rouler dans la plaine sans changer de braquet, Céleste a eu des ennuis de dentition. A la première bosse située à quelques kilomètres du départ, la couronne supérieure a fait grincer ses dents. Bon ce soir il faudra que je pense à brosser et graisser sa denture. Nous apprécions beaucoup la présence des cyclistes Serbes qui nous accompagnent, un peu moins peut-être celle plus stricte mais tout aussi nécessaire des policiers, qui assurent notre sécurité et nous facilitent les traversées de villes. Ainsi escortés, nous devons rester tous groupés. Point de nez en l’air ou de rêverie distrayante. Notre déplacement tient davantage du défilé militaire que du cyclotourisme tel que nous le pratiquons d’habitude. L’interdiction est formelle : pas de cyclo isolé. Au début c’est un peu frustrant, puis on s’y fait et à la fin on y trouve un charme nouveau. Les noirs s’immiscent dans le groupe des rouges, les jaunes dans les bleus, on se mélange s’il vous plait ! Nous élargissons nos connaissances en discutant avec des collègues que l’on côtoie depuis quinze jours sans pouvoir se dire autre chose qu’un bonjour rapide et laconique à la faveur d’un dépassement inopiné. Heureusement, la sortie ne sera pas longue. C’est un peu l’auberge Espagnole, on y trouve ce que l’on y porte : la camaraderie, les blagues que l’on se raconte, tiens, il y en même qui chantonnent pour couper la monotonie d’une ambiance sous séquestre. A midi par contre, le moral repart au beau fixe, sustenté par un pique-nique à faire éclater un ventre de mammouth. Nous avons une très grande joie en arrivant à Belgrade, celle d’être logés dans un magnifique hôtel et cela pour un jour et demi avec comme message de bienvenue offert par l’Office de Tourisme, une carte du Pays et un joli petit coeur. Et maintenant, ON COINCE LA BULLE !!!

Lundi 7 Avril 2008 : repos à Belgrade, 10 heures de roupillon.

Une nuit sans rêve et sans cauchemar, une nuit de zombie dont on ne se souvient que du réveil lent et sans à-coups. D’abord j’ouvre lentement l’œil droit, (c’est mon œil directeur, m’a appris le sergent instructeur pendant les classes militaires.) puis n’apercevant que le plafonnier, l’œil gauche, qui amène une lumière suffisante pour éclairer mon cerveau las. Un peu d’exercice pour voir si tout est en place : étirement du bras droit, doucement ! doucement aussi le bras gauche, allez un peu plus long l’étirement, allez à fond ! Bien, bien. Les jambes maintenant, c’est très très bon ça, pas de séquelle c’est souple et détendu. Bon voyons du côté cérébral : nous sommes le 7 Avril, en repos à Belgrade, et depuis Berbérust, j’ai parcouru en un mois et deux jours environ 3000 km. Quand je pense que je ‘’télépathise’’ avec René depuis Fribourg, sans lui avoir envoyé une seule fois de nouvelles épistolaires, je me demande s’il peut continuer à écrire la Saga du Pacha. Aujourd’hui sans faute, il faut que je lui envoie au moins une carte postale. C’est un peu brouillon dans ma boîte à jugeote, mais après déjeuner tout ira pour le mieux. Et c’est vrai, tout va pour le mieux, la piaule et mes affaires bien rangées, la lessive étendue, un déjeuner qui devrait me permettre de tenir le coup jusqu’à ce soir et me voilà avec les copains musardant dans la capitale Serbe. C’est surtout la rue piétonne Knez Mihailova située entre la forteresse de Kalemegdan et la Place de la République, qui concentre le caractère et la vie nonchalante des Belgradois. Depuis leur mouvement pacifique et libertaire contre le dictateur Miloševic, les 1.700.000 Serbes, ouvrent leurs portes occidentales, accueillant avec un plaisir évident les touristes étrangers, et en particulier les Français. Ce n’est pas un cocorico chauvin, que je lance, mais c’est la vraie réalité. Nous sommes particulièrement appréciés et il nous est très facile de lier conversation avec la jeunesse toujours curieuse de nous connaître autrement que par les livres. Autre rue à ne pas manquer, c’est la rue des Tziganes. Entièrement pavée, son air bohème nous saisit dès que l’on y accède. Depuis deux siècles, les Tziganes y ont installé leurs ateliers de peinture que l’on peut visiter sous l’œil ravi de l’artiste. Des restaurants anciens rivalisent de créativité pour attirer avec des orchestres typiques les nombreux visiteurs déjà tentés par des fragrances culinaires qui font tant gonfler les papilles gustatives, qu’elles en deviennent grosses comme des champignons de Paris. Il est l’heure de se rendre à la Mairie, devinez pourquoi ? Et oui vous avez gagné ! Réception officielle où deux adjoints au maire nous reçoivent. Nous accompagnent : Jean-François Terral ambassadeur de France et deux dames de l’ambassade ainsi que le représentant de l’ambassade Chinoise. Nous regagnons nos pénates enchantés de cette journée, maillon doré de notre chaîne Franco-Chinoise.

René Delhom

Mis en ligne jeudi 17 avril 2008

Ci-dessous les précédents épisodes

N°1 - N°2 - N°3 - N°4 - N°5 - N°6