Récit n°5

Vendredi 28 Mars 2008 : 13ème étape, Passau-Linz 104 km

Ce matin, je ne me sens pas très en forme, peut-être les intempéries subies depuis le départ y sont-elles pour quelque chose, mais il me semble que j’ai le cerveau un peu embrumé. Je suis enrhumé avec mal à la gorge, mes boyaux gargouillent et s’entortillent en tous sens. De toutes façons, le Pacha ne peut pas baisser le Gonfanon aussi facilement. Ce qui me chagrine, c’est qu’il y a de plus en plus de parasites sur la ligne télépathique qui me relie à René. Je me l’imagine au beau milieu d’un brouillard alphabétique, en train de batailler sur son clavier d’ordinateur pour sortir quelque chose de cohérent dans le fatras d’informations que j’essaie de lui faire passer. Comme nous avons une confiance mutuelle indestructible, je sais qu’il va se débrouiller pour continuer à faire paraître nos aventures sur Lourdes-infos.com.. Lui, connaissant mon ancêtre Béarnais au Panache Blanc, sait pertinemment que si elles suivent ma citrouille purpurine, je mènerai mes troupes à la Victoire. [ BOUfff !! Je ne sais pas si c’est exactement ça que le Pacha veut dire, mais, c’est ce que j’ai compris, alors j’écris. Bon, il faut que je me re-concentre ! Ça y est je capte. ] Heureusement, pour le moment le parcours est roulant. Nous sommes en Autriche et longeons toujours le Danube large et majestueux. Il déroule ses méandres en fond de vallée tel un gigantesque anaconda. Le temps est maussade, mais ici c’est tellement beau que les appareils photos tirent en rafale. Je crois que l’appareil photo numérique est la plus belle invention pour le cyclotouriste, après la bicyclette. Aujourd’hui, je pédale davantage dans la semoule que dans l’huile. Mais je fais consciencieusement mon travail de Pacha, rameutant mes troupes, ramenant les attardés, je remonte difficilement en tête du peloton. Cette image fausse d’aisance que je donne, ça sent mauvais, il ne faudrait pas que l’étape soit trop dure, car à voir mon air constipé, les copains tireraient une chasse à se vider complètement. Heureusement que quelques crevaisons opportunes viennent soulager ma misère. Mine de rien, j’arrive à donner le change jusqu’à l’arrivée où les toubibs me prennent en main pour éliminer mes obstructions ‘’naseaux-comiales’’ (cherchez pas sur le dico, ç’est tout nouveau) et mes embarras gastriques.

Samedi 29 Mars 2008 : 14ème étape, Linz-Melk, 118 km

Nous partons un peu plus tard que d’habitude. Monsieur le Président de Région et l’adjoint au Maire de Linz viennent nous souhaiter bonne route et nous remettent de petits cadeaux. Comme des VIP de haute lignée, nous faisons un tour de ville, accompagnés par la police locale. La journée s’annonce magnifique, nous longeons le Danube, et je vous prie de croire que comme fil conducteur il n’y a pas mieux au monde, à côté de lui, même celui d’Ariane n’est que simple ficelle. Fébus qui boudait depuis mon départ de Berbérust, daigne enfin jeter un œil sur notre groupe afin de s’assurer de ma présence. Je lui fais un petit signe de connivence, m’ayant reconnu, il nous couvera de ses rayons tout au long de la journée. Mon ange gardien me souffle dans l’oreille : «Allons Alain un peu de modestie, ce n’est pas Fébus qui te chouchoute, cette grosse clarté, ce sont les âmes des milliers de gens qui sont morts ici à Matahausen victimes de la barbarie nazie. Elles brilleront encore pendant des siècles, écrivant dans le ciel : Plus jamais ça.» Je suis un peu honteux de mes pensées égoïstes, mais je voulais éviter ces sinistres souvenirs pour ne pas gâcher le premier beau jour de notre raid. Si en France, c’est bien connu, les vaches regardent passer les trains, ici bien plus poétiquement, ce sont les cygnes qui étirent leur long cou pour voir passer les Cyclos Français. Au loin vers le Sud, les Alpes étincellent au soleil. Merveilleuse journée dans un pays merveilleux. AH ! le Cyclotourisme…. Nous approchons de la fin d’étape, arrivés à Persenbeug, nous sommes éberlués par l’immense barrage qui coupe le Danube. D’une longueur de 460m, il étale le fleuve sur 34km. retenant 75 millions de m³ d’eau. A son extrémité Nord, deux écluses de navigation longues de 230m. et larges de 24m. permettent la continuité du parcours fluvial. Nous entrons dans le Nibelungengau, ce pays de nains qui vivaient sous terre et qui possédaient des richesses fabuleuses. Les Chants de Nibelungen en racontent l’épopée héroïque, ils sont l’équivalent de notre Chanson de Roland. A partir d’Ebersdorf, on aperçoit l’immense façade Sud de l’abbaye de Melk. Longue de 240m., elle domine la ville surmontée par les tours de la façade Ouest et la coupole octogonale de l’église abbatiale. Je te rassure René, le groupe se porte bien, il reste solide et solidaire. Nous recevons partout un chaleureux accueil, je t’enverrai plus de détails dès que possible. Céleste est sobre comme un chameau, elle a compris son travail et l’accomplit sans que je la commande. Je m’occupe simplement de sa toilette et des petits soins courants. En somme une vie de Pacha.

Dimanche 30 Mars 2008 :15ème étape, Melk-Vienne, 121 km

Ça y est le Printemps est là. Sur la piste, heureux, nous randonnons en rangs d’oignons le long du Danube, les yeux écarquillés pour mieux absorber le paysage qui nous est offert. Les forteresses médiévales, se juxtaposent ou se superposent suivant le cas aux riches vignobles ou aux pruniers en fleurs. Leurs positions stratégiques nous laissent deviner les terribles guerres qui se sont succédées tout au long du fleuve dans ce pays maintenant si paisible. Nous avons le vent dans le dos et filons bon train, la température est idéale, et VIVE le VELO comme le dit si bien notre grand Steve Jackson. Vienne nous reçoit avec une pompe à laquelle nous autres cyclotouristes, ne sommes pas habitués. Il y a là mrs. Otto Flum, Président de la Fédération Autrichienne de Vélo, Michel Strasser Président National du Tourisme et Jean-Michel Richefort notre Directeur Technique National. Vous voyez, que du beau monde. Demain, c’est la journée de repos, enfin si l’on veut ! Car après avoir fait notre toilette (à fond), la lessive, soigné et bichonné ma chère Céleste la matinée sera gravement entamée. Alors, profitons du moment présent et demain sera un autre jour.
[ Note du Scribe : Je lis sur le compte-rendu du jour, le commentaire de Françoise Champrond à qui je me permets avec toutes mes félicitations d’envoyer deux bisous amico-cyclo-cardio-admiratifs : « Depuis 15 jours, je trouve que le temps passe à toute vitesse.» Ça fait combien de moyenne ça ? ]

Lundi 31 Mars 2008 : Journée de repos à Vienne

Bon, eh bien ça y est quoi ! on se repose. Enfin si l’on veut, mais est-ce plus fatigant de pédaler le nez en l’air ? Comme prévu, c’est avec un plaisir jouissif que je fais ma toilette tranquillement en prenant soin de récurer les endroits légèrement négligés because les départs matinaux et précipités. Les longs massages à la savonnette, les passages multiples de la douche chaude et tous ces petits soins, je les apprécie et je les savoure voluptueusement jusqu’à ce que mon copain tambourine à la porte. « Oh Alain ! tu crois qu’il me restera de l’eau chaude ?» Bon soyons charitable. J’abandonne à regret mes lascives ablutions. Et puis il faut penser à Céleste. Je lui dois bien des soins appliqués à elle aussi. Increvable ma Céleste, elle est devenue une seconde partie de moi-même. Répondant à la moindre de mes sollicitations, ralentissant lorsqu’elle sent que je baisse de régime, accélérant dans les descentes pour rattraper le temps perdu, enfin donnant toute sa puissance dans mes moments de grande forme, elle me comprend comme jamais personne humaine ne m’a compris. Je l’aime. Lessive faite, tout mon fourniment en ordre de marche, je suis prêt pour la visite de la ville offerte par l’Office de Tourisme Autrichien. Comme Pau sent la Garbure, Lourdes la piété, Vienne sent la musique. La puissante face de Beethoven vous suit et vous pénètre de son profond regard, tandis que la silhouette enfantine de Mozart vous prend par la main et vous entraîne de merveille en merveille. La Hofburg et la Michaelerplatz, Neue Burg donnant sur l’immense Heldenplatz où veille la statue équestre de l’archiduc Charles, l’Opéra, le Prater, et par-dessus tout ça, le beau Danube qui sans être bleu, est indispensable dans ce décor d’opérette. Nous rentrons de cette promenade enchantés et chagrinés de ne pas connaître tous les trésors que recèle cette ville merveilleuse. Et là, allongé sur mon lit, je suis quasiment envoûté par ce qui n’a pas de toute la journée quitté mon esprit. Les affolantes valses Viennoises, tourbillonnent sans cesse dans ma tête et maintenant en compagnie de Lanner et des Strauss père et fils, je les repasse en continu : Tiaam Tiaam Tiaam tan tan, Tiaam Tiaam Tiaam Tan Tan…. et si moi aussi je pouvais prés du Danube bleu,, le vélo bleu,,, le groupe bleu,,,, Le beau vélo de Ravel,,,,, je m’endors.

Mardi 1er Avril 2008 : Vienne-Gyor 145 km

C’est reparti ! Regroupés derrière la police motorisée, nous entamons une sortie triomphale vers la Hongrie. Le Triomphe de César en plus discret, c’est bien quand même un début de notoriété, ça ouvre les portes de la Gloire et de ses avantages [Mince ! y a du fading, je ne pige pas bien ce qu’il dit.] Ayant accompli son devoir jusqu’à la frontière, notre escorte fait demi-tour. Österreich ! Danke schön und auf wiedersehen

Et nous entrons en Hongrie. Pas besoin de panneau, la transition est immédiate. La douceur de la température et le petit vent arrière nous fait aimer tout de suite ce sympathique pays nouvellement raccordé à l’Union Européenne. Quand je dis que la transition est immédiate, c’est vrai ! Nous passons de l’opulente richesse de l’Europe occidentale à la fière pauvreté des pays de l’Est. Dans la campagne, les villages tristes vivent au ralenti. Des engins agricoles qui s’en vont cahin-caha, des automobiles aussi rares que désuètes, seuls les paysans, ont l’air d’avoir de l’avance sur nous : ils ont redécouvert les plaisirs de la circulation douce. Mais les avaient-ils abandonnés ? Ils roulent sur des biclous ‘’fildeférisés’’ à outrance. L’immense plaine, majestueuse dans sa monotonie, est étonnamment vivante. Des hardes de cerfs et de biches s’entrecroisent avec les chevreuils. Les lièvres ivres d’espace, courent par dizaines dans tous les sens. Ici la chasse n’est pas encore un sport destructeur. On ne doit chasser que pour se nourrir et encore faire le prélèvement du juste nécessaire. Nous arrivons à Györ ville industrielle où nous sommes reçus par monsieur le Maire (ancien champion olympique à Séoul en 1988) accompagné des professeurs de l’Alliance française dont madame Eva Màn le présidente nous fait la traduction du discours de bienvenue. La ville située au confluent des rivières Rába et Rábca, est surnommée « la cité des eaux ». Une petite balade de décontraction s’impose pour visiter la place Marriot Kapu sur les bords du Danube où des pêcheurs à la ligne, sortent du fleuve des poissons énormes. Les contraintes obligatoires à notre survie, nous ramènent au gîte pour refaire notre plein de calories. Quand j’ai faim, j’ai la tête qui se vide, je sais René, que tu es comme moi, alors viszontlátásra !

René Delhom

Mis en ligne samedi 12 avril 2008-11h38

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