Récit n°20

Dimanche 22 Juin 2008 : 85 ème étape, Shihézi – Ürümqi / 156 km

Ce matin l’humeur de l’expédition est au beau fixe, comme au jour du départ quand nous passions en baissant la tête entre les jambes de la Tour Eiffel, pleins d’espoir en l’avenir insoupçonnable qui nous attirait irrémédiablement vers l’Est et l’Aventure. Aujourd’hui, toute l’équipe réunie, malgré les évènements plus ou moins appréciables qui ont essayé de la démembrer, continue fièrement sa route. Je dis fièrement avec juste raison, car tu ne réalises peut-être pas que deux cent quatre petites guibolles françaises, tricotent leur randonnée sur la Route de la Soie. En effet nous roulons sur cette voie empruntée par Marco Polo au 13ème. siècle et qui maintenant, moins poétiquement et c’est dommage, s’appelle la G 312. C’est une route nationale, d’accord, mais avant tout, c’est une route historique, de l’Histoire Universelle. G 312 ! Peut-être est-ce joli écrit en Chinois, ces idéogrammes dansants avec toujours une ou deux pattes en l’air sont sympathiques. Ça me console. Le départ est agréable, la route peu fréquentée, nous laisse présager d’une journée plaisante dans un paysage agreste où les cultures nous rappellent la douce France. Mais cet idyllique parcours, comme toute bonne chose se termine trop rapidement. Historique ou Nationale, la route maintenant, est à la limite de l’infarctus. La circulation intense de véhicules de toutes sortes y occasionne quelques dangereuses thromboses. Et ça klaxonne à gauche, et ça gesticule et se bouscule à droite. Un vrai fouillis. Nous, dignes, imperturbables équilibristes, avançons dans cette cohue, mains sur les poignées de freins et fesses serrées. La circulation diminue, mais la température augmente. Un truc qui m’interpelle souvent, c’est : comment font les météorologues pour annoncer 43° à l’ombre quand il n’y a pas d’ombre ? Cette question me vient en tête depuis un certain jour de canicule lors d’un Luchon-Pau alors que je ramais lamentablement vers14h. entre La Mongie et le Tourmalet. Pourtant le matin, la météo Toulousaine n’avait annoncé que 33° sous abri. Je l’ai vraisemblablement signalé dans une étape précédente, mais c’est plus fort que moi, cette question me tarabuste à chaque coup de chaleur. Elle me tarabuste d’autant plus, que notre convoi n’a pas pris la route nationale et historique, il est parti dans la nature, heureux de sa Liberté retrouvée. A la limite, le camion de frusques, peut se permettre de vagabonder, mais on ne pardonne pas si facilement l’erreur au camion frigo-bar qui l’a suivi. A l’aire de pique-nique nous les attendons deux heures, râlant intérieurement, mais heureux de les revoir. La soif nous empêche de faire le moindre reproche, elle nous en a enlevé même l’idée. Elle a asséché notre langue épaisse comme une queue de castor qui encombre notre bouche. Heureusement que les frais sourires que nous adressaient les passants chinois, adoucissaient la fournaise. On se fait le moral avec ce que l’on a. Nous repartons, les ventres rebondis comme des gourdes basques. Tous regroupés pour suivre des cyclistes locaux reconnaissables à leurs vélos vétustes et qui se sont gentiment proposés pour nous conduire jusqu’à l’hôtel. Je pense que tu l’auras remarqué, mais c’est pour tout pareil. Lorsque tu cherches une chaussette dans ta valise, il faut que tu la vides complètement, c’est tout au fond que tu la trouveras. Si tu rends visite à un ami qui habite un gratte-ciel sans ascenseur, c’est au dernier étage que tu monteras pour lui dire un bonjour essoufflé. Notre arrivée à Ürümqi ne déroge pas à la règle. Un peloton en campagne c’est difficile à maintenir groupé, mais dans une ville immense de deux millions d’habitants et Chinois de surcroit, il faut un peloton discipliné par trois mois d’entrainement commun et journalier pour réussir. Heureusement que les Cyclo-guides nous promènent sans hésitation dans ces avenues Champs-Elyséennes. Nos humbles carcasses harassées ne remercieront jamais assez les Fils du Ciel de leur divine sollicitude. La ville comme je te l’ai dit est immense, et notre hôtel se trouve comme il se doit…à l’autre bout. La température, ajoutée à la touffeur due à la circulation urbaine, fini de nous épuiser. Quarante huit heures de repos seront les bienvenues. Nous apprécions chaque fois davantage ces journées de repos où tout se remet en place. Physique, mental, vêtements, bicyclettes, courrier, courriel, c’est une remise à neuf nécessaire et complète. J’arrête la transmission, il me tarde de boire une ¨pijiu¨* bien fraîche, peut-être même deux
* Pijiu , c’est Chinois, joli, rafraichissant, ça coulisse en le disant, mieux que le mot bièrrre qui peut écorcher une luette desséchée.

Lundi 23 Juin2008 : Journée de repos à Ürümqi.

Nous sommes au repos, mais la Chine est en marche. Je passe sous silence nos petites corvées, et je rentre de suite dans le vif du sujet. Époustouflant ! Stupéfiant ! Ahurissant ! Je vais pouvoir jeter mes documents sur la Chine et mettre à jour ma bibliothèque. Fini la Chine à papa, avec le petit chinois qui tire en courant le pousse-pousse où se prélasse un monsieur bedonnant, en costume blanc immaculé et chapeau colonial bloqué sur les oreilles. Finies les petites maisons au bord de l’eau dont les pointes de toits rebiquent gentiment comme les babouches d’Aladin. Hier dans l’intense circulation et passablement avachis par la chaleur, nous n’avions contemplé que le macadam que nous laissaient entrevoir avec parcimonie les nombreux véhicules qui nous encerclaient. Hier, c’était pour les autochtones, jour de repos et de promenade. Aujourd’hui, la Chine est au travail. Alors, tout ce qui n’est pas chantier, est zone vacante. On peut se balader librement, tranquillement, sans pression (Attention ! je ne parle pas de Pijiu.) faire son shoping dans une ville propre, où l’amabilité naturelle des gens d’ici, nous ferait presque croire que nous sommes du pays. Tout glisse silencieusement avec une fluidité déconcertante, sans qu’un policier n’impose son bâton blanc. Nous entrons dans des magasins bazars où l’on trouve de tout à des prix défiant toute concurrence, Européenne en général et Française en particulier. Un Pays de Fourmis, où chacun se croise sans se toiser. Chacun y tient sa place qu’elle que soit son importance avec une égale fierté, car chacun sait qu’il est aussi utile à la chaîne de vie que son voisin. L’ouvrier, se considère aussi important que le P.D.G. qui l’emploie, les deux convaincus que l’un sans l’autre, ils ne seraient Rien. L’on peut voir discuter sans a priori, le monsieur cravaté sortant d’une limousine noire et le tireur de voiture à bras qui lui répond d’homme à homme, les yeux dans les yeux. Philosophie nouvelle, née d’une révolution aussi cruelle que nécessaire comme toutes les révolutions. Celle que les Français en 1789 ont offerte au monde entier en est le prototype. Tant de valeurs qui s’épanouissent naturellement sans contraintes apparentes, tant de création, tant de travail, et dans le fond tant de joie de vivre, nous ramènent à plus d’humilité. De petits frissons d’appréhension nous font craindre pour notre avenir embourgeoisé lorsque la Chine et cela parait inéluctable, envahira la planète. C’est un énorme rouleau, un vrai tsunami terrestre qui est en route. Par sa culture, ses industrieuses possibilités et sa puissance de travail, cela semble irréversible. La Chine souriante conquerra le monde apathique. A nous d’y réfléchir, mais pas trop longtemps. Dans cette région du Xinjiang, la moitié de la population est composée de Han, l’autre moitié, de minorités où les Ouïgours, les Mandchous, les Mongols les Kazakhs et les Tadjiks vivent en harmonie une parfaite égalité. L’ouverture de la ligne de chemin de fer en 1991 jusqu’à Almaty au Kazakhstan, a commencé l’expansion. La prospérité de l’industrie renverra vers l’Ouest le flux commercial qu’avait créé Marco Polo et qui des siècles durant a perduré pour notre profit. Crois-moi René cette Chine surprenante, lointaine, sous estimée par notre Égo satisfait et cachée pour des raisons certainement politico-financières, ça me fout la frousse. Mais promenons nous, allons voir son passé. Manque de chance, le Musée provincial du Xinjiang est fermé, au Nord de la ville, se trouve le parc Hong Shan dominé par une petite pagode (aux pointes de toits qui rebiquent). La course en taxi ne coute pas cher, seulement 15 yuans (1€50). La vue superbe sur la ville confirme l’impression de travail, de modernité et d’efficacité de la population Chinoise. Le sourire affable, le gentil « Nihao ! Nihao !» que nous adressent les passants étonnés de voir autant d’étrangers déambuler ensemble, ne dissiperont pas l’ombre de l’inquiétante épée de Damoclès suspendue au dessus de nos têtes insouciantes d’Européens infatués. Revenons à des obligations plus terre à terre, il nous faut charger les vélos sur les camions. Les accompagnateurs et quelques bénévoles vont convoyer bagages et vélos par la route, pour rallier Dunhuang à quelques mille kilomètres d’Ürümqi. Le désert de Gobi, le plus inhospitalier du monde, fait barrière à notre parcours, mais les ressources humaines sont illimitées, enfin presque. Nous allons prendre intelligemment le train couchette pour éviter ainsi ses mauvais traitements.

Mardi 24 Juin 2008 ; deuxième jour de repos à Ürümqi

En prévision de ce long voyage qui risque d’être ennuyeux, comme j’ai un peu le mal du pays, j’aimerais tenter quelque chose avec toi. Si tu veux, tu peux. Je suis remonté à la pagode et j’ai discuté avec un vieux lama, car j’avais cette idée derrière la tête : que tu sois pour une fois émetteur et non simplement récepteur dans nos conversations télépathiques. Je voudrais que lors de notre voyage de nuit en train, tu te concentres pour m’envoyer un de tes récits de randonnée dans nos Pyrénées. Je pourrais ainsi agrémenter cette nuit qui menace d’être fastidieuse. Assis en tailleur face à mon moine orangé, je lui ai demandé la recette pour que rapidement et sans entrainement spécial, un néophyte puisse transmettre sa pensée de façon claire et rapide. Il m’a répondu que cela ne pouvait se faire qu’une seule fois, sous peine de devoir doubler les doses à chaque tentative. Surtout il m’a recommandé, d’impérativement suivre sa recette. Après bien des questions sur nos us et coutumes, sur la situation géographique de notre pays, notre régime alimentaire, voilà en secret la recette qu’il m’a livré : « Dans une garbure comme Mimi sait la faire, il faut ajouter presque en fin de cuisson, quelques feuilles de sarroûs*, deux piments d’Espelette, un peu de safran. Le safran je ne vois pas pourquoi, pour donner de la couleur peut-être ? Quand tu en as mangé deux bonnes assiettes, il te faut faire la goudale* avec le bouillon restant de la troisième. La goudale, tu peux la faire indifféremment avec du Madiran ou du Jurançon. Une belle tranche de fromage Ossau-Iraty, le tout bien arrosé par le vin restant de la goudale (s’il n‘en reste plus, ouvre une autre bouteille.) Un Armagnac de derrière les fagots, aidera ton évasion spirituelle. Surtout ne pas lésiner sur la quantité. Importante la quantité pour donner de l’endurance et éviter les variations de fréquence. Bien repus, tu dois monter sur une éminence, afin que tes ondes ne trouvent pas d’obstacle à leur propagation. Nous avons en gros sept heures de décalage horaire avec la France, donc quand ici il est minuit, il est 17 heures à Lourdes. Comme le train va filer plein Sud, à deux heures demain matin, je m’installerai côté droit, tourné vers l’Ouest et je me mettrai portière ouverte, dans la position du Lotus, bien concentré et prêt à recevoir ton émission. Comme en principe tu déjeunes à midi pile, le temps de te rendre à l’endroit que tu auras choisi pour l’émission, je pense qu’avec une petite marge de sécurité, à partir de 19 heures heure Lourdaise, tu pourras émettre. Merci d’avance et à ce soir.
* Sarroûs : épinards sauvages et toniques des montagnes Pyrénéennes.
* Goudale ou chabrot : Dans l’assiette à demi remplie de bouillon, on verse une quantité à peu prés égale de vin rouge. Après avoir bien touillé le mélange avec la cuillère, on avale le tout religieusement en portant ses lèvres sur le bord de l’assiette (creuse obligatoirement). Ne pas oublier à l’aspiration le petit bruit caractéristique qui s’appelle chourup, ou churlup suivant qu’il soit Bigourdan ou Béarnais.

Lourdes : Mardi 24 à Mercredi 25 Juin 2008.

Mimi, ma tendre moitié, n’a pas rouspété pour faire la garbure. Elle excelle à cuisiner les plats roboratifs tels que civets, ragouts, rôtis et gibiers de toutes sortes. Ce matin, son marché accompli, tous les ingrédients sur la table, elle cuisine, et moi je vais me donner un tour. Elle a horreur que je lui tourne autour des jupes quand elle est devant son piano. Ça ne la trouble plus, ça l’agace. Je suis monté à pied par le bois de Subercarrère jusqu’au col d’Ech avec mon chien. C’est un setter de quatre ans qui a le feu dans les pattes. D’une tendresse infinie, il quémande une caresse à tous ceux qui le croisent, n’hésitant pas s’il le faut à essuyer ses pattes sur la veste ou la chemise blanche de son nouvel ami. Demandez à la nonne Italienne qui disait sa dizaine de chapelet en promenant, sa belle robe immaculée, transformée en peau de zèbre le temps d’un battement de cil. Il est temps que je rentre, la bonne chère n’attend pas. Cette Mimi quand même, c’est la tradition personnifiée, rien ne manque et tout est parfait pour la messe Bigourdane. Alors René, soit sérieux toi aussi et accompli le sacrifice en suivant canoniquement les préceptes ancestraux. Pour éviter les commentaires, je ne vous conte pas le repas. Mais sitôt fini, je démarre, en route vers le Pic du Jer. J’arrête mon 4x4 juste après les cochons noirs de Cassou, et pédibus comme un pèlerin de Saint Jacques de Compostelle, j’arrive en haut du Pic, il est 18 heures trente. Le temps de réfléchir posément, de calculer le meilleur endroit pour effectuer ma mission et me concentrer, je serais à l’heure. Un tour d’horizon me rassure quant aux conditions météo, pas un seul nuage pour brouiller la transmission. J’avise une grosse pierre au pied de l’immense croix de fer surmontant le sommet de la montagne. J’en améliore le confort avec un épais carré de mousse synthétique qui a toujours sa place dans mon sac à dos. Je déplace un peu le siège improvisé de manière à ce que mon dos s’appuie sur une des larges cornières de la croix. L’idée lumineuse a jailli : En appuyant mon occiput sur ce montant de fer, la croix peut constituer une antenne T.S.F. formidable. J’ajuste au mieux mon fauteuil, m’installe et me concentre. Il est temps, les vapeurs gastriques et alcoolisées envahissent mon cerveau, la tête bien callée contre la ferraille, le béret sur les yeux, je sens que ça va marcher. Je m’envole, je m’évade de moi-même. Je vogue dans les airs, je vois. Je vois tous les paysages décrits par Alain, je les reconnais. À une vitesse fantastique je suis sa piste comme l’aigle suit le lapin. Tout à coup dans la nuit noire, j’aperçois le train, le train qui file plein Sud. Je sais que c’est lui, c’est le bon car Alain est sur le marchepied, immobile comme un fakir. Je lui parle et il ouvre ses yeux, heureux. Mais pas de temps à perdre, les salamalecs seront pour plus tard.

Je dois lui raconter la randonnée qu’il souhaitait : Ma balade au Chiroulet. Il me faut d’abord situer les lieux et citer les participants. Le Chiroulet sis dans la belle vallée de Lesponne, est un des hauts lieux du cyclotourisme Haut-Pyrénéen, tu diras que ça fait deux hauts pour le même endroit, mais c’est normal puisque ça monte et que ça monte dur. En outre, c’est un point B.C.N.-B.P.F. Tout un chacun à la fédé, est fier d’en posséder le tampon sur sa feuille de route. Des personnages il y en a deux qui sont un peu les héros de l’histoire. Alexine, ma super randonneuse âgée de vingt six ans avec qui j’ai tout fait ou presque, sauf Paris-Pékin. Alexine du nom de son créateur Alex Singer. Colnago, lui est entré dans ma maison suite à l’infarctus qui m’a terrassé à Limendous en 2001. Bien plus léger qu’Alexine, sa nervosité remplace un peu le manque de force que je peux fournir.

Bon ! Voilà pour le décor, voici la balade : Alexine roulait de gros phares effarés. Elle ne comprenait pas. Comment ? Il y a dix jours à peine, elle randonnait avec René et ses copains des C.R.Lourdais, sous un déluge qui faisait ressembler les coteaux de Sévignac à la mer d’Iroise, et ce matin, pour quatre petits nuages qui vadrouillent dans le ciel Tarbais, il lui fait seulement traverser la petite place Mozart pour la ramener de suite au garage. Il était prévu qu’aujourd’hui, ils feraient un tour rien que tous les deux, en amoureux. Une virée de 170 km. qui les mènerait dans le Gers. Elle se calme un peu lorsqu’à travers les vitres, elle voit la lumière du soleil baisser rapidement. Le ciel se couvrait. Elle est déçue et se sent trahie lorsque René décroche Colnago, le vélo italien. Mais enfin, elle n’en est plus jalouse. Elle l’aime bien maintenant le Transalpin. Les débuts avaient été difficiles. Mais il a perdu sa morgue, et dans le fond, c’est un brave vélo. Et puis il faut bien l’avouer, elle adore son accent lorsqu’il lui raconte ses sorties. Elle a l’impression d’être à l’Opéra. Depuis quelques temps, guidon contre guidon, ils font la causette en se tenant par la pédale. Que voulez-vous, un vélo de course, italien, dragueur de surcroit et une bicyclette de randonnée, midinette dans l’âme…En somme l’union parfaite du sport et du romantisme contemplatif. L’idéal du Cyclo-Touriste.

Bref ce matin, René et Colnago sont partis sous un ciel menaçant, pour accomplir le circuit prévu au programme du club : La montée au Chiroulet. René a pris son allure de croisière sitôt passé le rond-point Renault, et Colnago répond à la moindre sollicitation. Arrivé au pied de la côte de Loucrup, les nuages paraissent se dissoudre peu à peu. Là-bas, du côté de l’Arbizon, le ciel redevient tout bleu. Le vieux cyclo connait cette grimpée par cœur. Au dessus des fermes, après le virage à droite, la pente est sévère. Avec Colnago, il peut se permettre de ¨pousser un peu plus gros¨. Mais prudence ! Prudence ! Il faut en garder sous la pédale. Ainsi, tranquillement, sans s’essouffler, il parvient au sommet. Depuis la côte des Wisigoths, le point de vue est splendide. Les Pyrénées se déploient du Luchonnais aux monts du Béarn. Les ¨3000¨Hauts-Pyrénéens encapuchonnés de neige, étincellent au soleil qui apparait enfin. La descente des Hourcades vers Montgaillard, n’est qu’une simple formalité un peu frisquette. Pas de problème sur la route qui mène à Bagnères de Bigorre. Un petit vent arrière et René retrouve la pédalée légère de sa jeunesse. Il savoure cet instant où il se surprend à rêver au champion qu’il n’a jamais été. A Baudéan, il donne un clin d’œil à l’église certainement la plus photographiée de la vallée. Elle a comme veulent orgueilleusement le faire croire les autochtones : Cinq clochers, quatre cents cloches.Il faut traduire par cinq clochers quatre sans cloche. Et voilà la vallée de Lesponne qui s’ouvre magnifique sous le ciel devenu entièrement bleu. Vert, blanc, bleu, ces trois couleurs dominent dans la palette que la nature étale ici généreusement. En bas, le vert tendre des prairies barré par le trait d’argent de l’Adour, puis celui plus varié des forêts qui passe du très clair avec les jeunes pousses de hêtre, au plus foncé des sapinières. Le blanc immaculé des sommets chapeauté par le bleu du ciel d’une pureté éblouissante, fait oublier un instant, qu’ailleurs, l’Homme se prenant pour un dieu a pollué et dégradé le paradis qui lui a été confié. Mais trêve de rêverie, ça monte ! Et quand ça monte, il faut descendre …les braquets. C’est une succession de petites côtes casse-pattes et de reposoirs. Un peu à court d’entrainement, René se ménage, il sait qu’à l’embranchement de la cascade de Magenta, il lui faudra lever ses fesses de la selle. Il est souvent monté au Chiroulet, mais à chaque fois qu’il y revient, toujours émerveillé par la beauté du paysage, il s’arrête de temps en temps pour photographier. Il en a pourtant des photos de la Vallée, mais la tentation est trop forte, c’est encore plus beau aujourd’hui. La grange à penaùs entre le Merlheu et le Bizourtère le séduit une Xème fois. Voici le pont d’Abay. Les affaires sérieuses vont commencer. La pente se redresse et René prévoyant, passe ¨tout à gauche¨ il ne tient pas du tout à y passer l’arme bien entendu. Plus question de rêvasser. On se concentre s’il vous plait. René se serre sur la droite de la chaussée car il entend des halètements de locomotives qui se rapprochent rapidement. Deux ¨cyclotes¨ le doublent en jetant un regard de commisération à ce vieux qui rame sur la route. Lui leur envoie avec le sourire un « Bonjour ! C’est magnifique hé !» qui reste sans réponse. Les pauvres, elles n’auront vu que du goudron. Puis un cycliste d’Andrest arrive à sa hauteur. Il est dans la force de l’âge, mais ralentit son allure pour faire un bout de route avec l’ancien. Et ça papote gentiment, le temps d’échanger quelques impressions sur la dureté de la grimpette, qui dans le fond n’est dure que si l’on dépasse ses moyens. En cyclotourisme, on n’éprouve pas souvent ce genre de sensation. Le copain d’un moment, reprend sa cadence et largue René sans y prendre garde. Tout à coup, un hurlement retentit : « J’ai besoin de toute la route, place !» C’est Robert un membre du club qui redescend. René ralentit pour un bonjour plus amical à son camarade, mais Robert continue à dévaler la pente à ¨fond la caisse¨. Certainement que chez lui, il doit y avoir des frites au menu de midi, et qu’il doit arriver de bonne heure à la maison pour peler les patates. La pente s’adoucit lorsqu’un autre cyclo fait un ¨tête droite¨ avec un bonjour nullement essoufflé… René est à nouveau seul, mais la route descend maintenant, c’est le nez en l’air, regardant le sentier qui monte au Lac Bleu, qu’il arrive au Chiroulet. Au bar, les deux cyclos d’Andrest invitent René à prendre un petit café avec eux. Aussitôt on discute vélo comme il se doit, on parle de souvenirs et d’avenir, puis les trois cyclos se séparent sur un sincère Au revoir ! René reprend seul le chemin du retour, heureux d’avoir accompli sans ennuis cette superbe randonnée. Arrivé à la maison, il range soigneusement Colnago à sa place. En refermant doucement le porte, il entend une voix chantante s’élever : « Ché belle cosa,’na iurnata ‘é solé ! » C’est Colnago qui raconte sa virée à Alexine.

Il s’en allait temps que la randonnée se termine, le train se dissout tout doucement dans le désert. Je me réveille avec un sérieux torticolis et me lève difficilement avec des fourmis dans les jambes. Le soleil se couche sur l’Océan, et moi je vais en faire autant auprès de ma blonde. Fatigante cette séance de télépathie, mais combien instructive. J’ai réussi cette expérience, j’ai vu du paysage, et j’ai fait plaisir à un ami. Belle journée.

René Delhom

Dernière mise en lignemardi 8 juillet 2008

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