Récit n°18 Jeudi 12 Juin 2008 : 77 ème étape, Campement 1900 – Kegen / 58km. Ce matin, je ne chante pas. En me réveillant,
de suite son image a surgi dans ma tête, je ne vais pas dire dans
mon cerveau, je ne suis plus sûr d’en avoir un. Disons dans
mon crâne, celui-là, je suis certain de l’avoir avec
tous les boulons qui l’enserrent. Où en suis-je ? Ah oui
! Je parlais de son image. Ce n’est pas une quelconque ressemblance
qui me l’inspire, quoique … c’est la bouille ronde et
souriante de l’ami Ouvrard, l’oreillard chantant qui s’installe
dans ma boite à penser avec sa célèbre chanson. «J’ai
la rate qui s’dilate etc…etc…» je refais son check-list,
pas une ne me manque. Pourtant, j’ai bien dormi cette nuit. J’ai
du dormir trop profond, car j’ai de la peine à refaire surface.
J’ai mal partout, pas une articulation qui ne grippe. J’entends
déjà le campement en ébullition, et j’en suis
le Pacha. Mauvais choix dans le titre. Pacha d’après le Larousse,
c’est un commandant de navire, bon j’assume, mais c’est
aussi je cite : « Vit dans l’opulence et l’oisiveté.»
Là, il y a un manque dans ma fonction surtout que, si je continue
la définition : « …se fait servir.» il va falloir
que je fasse réviser ou le contrat fédéral ou le
dictionnaire. En attendant, je suis commandant de navire et obligé
de me lever pour assurer sinon mes prérogatives, du moins ma fonction.
Je me lève, aïe, ça craque de partout ! Je me prépare
aussi vite que le permettent mes courbatures et je sors de mon Tipi pour
m’apercevoir que tout les potes ont sonné le branle-bas de
combat sans que j’y mette mon grain de sel. La routine, mine de
rien, ça vous fout toute la hiérarchie en l’air. A
moins que ce ne soit cela être un vrai Pacha. Tu donnes les ordres
une fois et… non mais Alain, tu prends tes copains pour des billes
? Tu tiens ce poste pour coordonner les opérations, alors, coordonne
et ne rêve pas. L’Inde c’est plus bas et à droite
dans le sens de la marche. Tu as Céleste, contente t’en,
le Palais, le harem, diamants, émeraudes et rubis, ce sera pour
plus tard si tu gagnes gros, gros, gros au Loto. Brrooouuuuffff ! Bon
les gars ça y est, on démarre ? Et voilà l’travail.
D’un coup de pédale unanime, le peloton s’élance
mollement pour passer à 2035m .un col aussi sournois qu’imprévu,
puis entame la descente qui le ramène vers la plaine. Finies les
envolées lyriques, les hautes pensées philosophiques et
autres élucubrations oiseuses. Des occupations plus réalistes
me ramènent les pieds sur les pédales. Il me faut lutter
contre le vent sur une piste pas très agréable et cela pendant
quarante bornes. Les idées se remettent en place et je me sens
tout chose… comme si je renaissais. Je suis bien physiquement et
moralement. Dans le peloton tout le monde a les mêmes sensations.
Peut-être est-ce ce passage prés du ciel qui a… ah
non ! Tu ne vas pas recommencer ? Le passage de la frontière se
fait en décontraction, il nous faudra trois heures pour remplir
les formalités. Quand je dis nous, il faut préciser que
Nous subissons toujours cette suspicion tatillonne de la part des fonctionnaires.
Ils ne comprennent pas notre plaisir à nous tortiller et nous torturer
pendant plusieurs mois sur un engin dont ils ne se servent que pour se
rendre au boulot. Ça dépasse leur entendement, ils mettent
3 heures pour comprendre ça et nous libérer. Vendredi 13 Juin : 78ème étape, Kegen – Shonjï /77 km. Nous filons plein Nord en ce vendredi porte-bonheur,
mais un regret taraude toutefois mon subconscient. Il n’y a pas
un seul bureau de tabac à 100km. à la ronde afin que je
puisse jouer ma date de naissance. C’est le bled ! Le vrai bled
sablonneux, sans oasis, où des vaches faméliques mâchouillent
une herbe rare. Certainement, elles doivent passer plus de temps à
la chercher qu’à la ruminer. Les seuls arbres que tu vois
dans le secteur, sont des poteaux télégraphiques, et ces
essences là, ne font pas beaucoup d’ombre. Mais nous pédalons
joyeux dans la poussière sur cette piste confortable. Nous grimpons
notre ultime col Kazakhe à 1950m. sans effort, en discutant sur
tout et sur rien. Nous refaisons le monde, avec, première nécessité,
des pistes cyclables pour cyclotouristes au long cours. C'est-à-dire
un revêtement en velours (pas trop côtelé), un bar
avec terrasse arborée tous les vingt kilomètres, un hôtel
restaurant **** tous les cent, sans lésiner sur les étoiles.
Les discussions et les rêveries s’arrêtent net, car
la montée qui nous mène sur le plateau, se passe de commentaire.
Pourquoi ce fort vent de face me jette-t-il à la figure la fable
de La Fontaine : Le Chêne et le Roseau ? Réponse instantanée,
il se veut Aquilon, il me semble Zéphyr. Je plie, le nez sur le
guidon, mais j’avance. En grande forme et avec mon profilage actuel,
QUÉ POT BOUHÀ ETH BÉN* ! Nous allons, encore trouver
l’hébergement tout prêt. Devine ce que nous avons eu
au menu ? Du cassoulet du vrai de vrai, tu sais celui qui donne des flatulences.
Çe soir, ce sera son sans lumière au dortoir, j’en
ai bien peur. Remarque, il n’y aura que moitié mal, car nous
serons séparés comme le veut la bienséance : Les
hommes célibataires au gymnase, tandis que les couples et les femmes
célibataires seront logés dans des salles de classe. La
douche est prise au camion salle de bain, chacun peut ainsi se débarrasser
de la carapace qui le recouvre de la tête aux pieds. La poussière
bétonnée couche après couche par la sueur, craquelée
par la chaleur solaire, recouvre nos épidermes d’écailles
grisâtres et transforme le bac à douche en auge à
mortier. Samedi 14 Juin 2008 : 79 ème étape, Shonjï – Jarkent / 95km. Des renseignements inquiétants nous sont parvenus
de Paris, et notre chef d’expédition après concertation,
décide de reporter la journée de repos à après-demain.
Les incidents créés par le passage de la flamme Olympique
chez nous, ne vont pas faciliter les relations ici. Il paraitrait qu’une
propagande anti-française orchestrée par les médias
officiels risque de nous attirer des ennuis sinon dangereux, du moins
gênants pour le bon déroulement de notre expédition.
Qui vivra verra ! Il est 7h.15 lorsque les groupes quittent Shonjï,
tranquillement comme des gens qui ont l’habitude, des bien rodés
quoi ! Pas de geste inutile, d’interpellation inquiète, tout
baigne et tourne dans l’huile. Nuit étouffante, je rissole dans mon lit, je tourne,
je retourne, me déplace légèrement en tirant mes
jambes au maximum, je trouve un endroit un peu plus frais qui le reste
10 secondes, et vais chercher à côté. J’écoute
tomber les heures, c’est long, très long. Attentif à
capter la moindre brise, je n’ai plus que cette idée en tête
: un peu d’air frais. Mon corps ne répond plus à mon
peu de volonté, je suis inerte, un Zombie. Je regarde ma montre,
il n’est que onze heures, encore huit heures à mijoter. Mes
paupières se ferment, pas de sommeil, mais je manque de force pour
les tenir ouvertes. Je suis anéanti. Les fenêtres sont inutilement
ouvertes, elles béent sur l’antichambre de l’enfer.
Une heure, deux heures, des heures que l’on compte en espérant
en avoir sauté une ou deux. Mais non, le compte est bon. Mon cerveau
se vide, je ne compte plus, je n’existe plus, je sombre… Je
suis réveillé par le brouhaha familier des copains qui se
lèvent. Donc je suis toujours sur Terre ; je remets la machine
en route tout doucement. Il est huit heures, j’ai dormi au bain-marie
pendant au moins cinq heures. Je suis tout mou. Je vois les collègues
déambuler avec nonchalance, démontrant que leur nuit fut
aussi pénible que la mienne. Une bonne douche revitalise mon corps
avachi, et me voilà attablé devant le petit déjeuner.
D’un seul coup, la vigueur revient le moral remonte entrainant dans
son ascendance le potentiomètre vocal. Avec les copains, on se
la raconte en rigolant pour essayer d’oublier cette nuit infernale.
Reste sous-jacente la prochaine qui risque d’être de la même
eau puisqu’elle se nourrit de la notre, elle trace une grosse ride
sur nos fronts soucieux. D’abord commençons à empêcher
la chaleur de rentrer, en fermant fenêtres et persiennes. Allons,
courage! Vaquons à nos occupations. La lessive d’abord et
il y en a. Ce linge de corps que l’on enfonce trempe de sueur dans
les sacoches a tendance à prendre de suite une forte odeur vinaigrée
qui empoisonne ses entours, donc lessive obligatoire. Ce que je fais toujours
avec grand plaisir, c’est la toilette de Céleste. Tandis
que je continue à perdre gramme après gramme le peu de saindoux
accroché à mes os, Céleste, elle, n’a pas perdu
une once de poids. Je la soupçonne, même d’avoir pris
un peu d’embonpoint dans les sacoches, il faudra que je surveille.
Toujours éclatante de santé elle se laisse toiletter et
apprêter comme une star. Star elle l’est, elle le sait, je
te l’ai déjà dit,. Elle n’a qu’une seule
peur : d’avoir à partager mes fesses avec ma vieille randonneuse
qui se morfond à Berbérust. J’aurai quelques problèmes
lors du ¨case-entro¨*, je m’y attends mais je pense les
résoudre comme tu as résolu les tiens lorsque tu as rangé
côte à côte Alexine et Colnago. On verra ça
à la rentrée. Il ne fait pas encore trop chaud et un petit
tour de ville s’impose pour réapprendre à marcher.
Rien de remarquable, ville sans attrait particulier, je rentre. Après
un repas sur-dosé, je réintègre la chambre et m’affale
sur le lit dans ma plus jolie tenue de nouveau né. La température
tiédasse, je m’end……. J’ai dormiiiiiiiiiiii
comme une souche et je me réveille aussi ensuqué que la
souche. Une petite douche tiède (ici il n’y a pas d’eau
froide, enfin je veux dire fraîche) je me sens mieux, mais ce n’est
pas terrible. J’ai tout juste la force de remuer mollement les mandibules
pour ingurgiter le repas pourtant appétissant qui nous est servi.
Histoire de ne pas tout suer à l’intérieur de la chambre,
je vais faire un petit tour dans la touffeur nocturne. Je retourne à
la piaule, je me couche et ne t’en dis pas plus, je me répèterais.
Lundi 16 Juin 2008 : 80ème étape, Jarkent-Quingshuihézi /66km. Si les copains, les copines et moi-même, avons
mal dormi, nous avions au moins la possibilité de fermer les paupières.
J’en connais deux qui n’ont pas eu ce doux plaisir. Jean-François
et Henri, nos deux chefs de guerre ont veillé toute la nuit espérant
avoir des nouvelles du bureau fédéral, tels Soult et Murat
attendant les ordres de l’Empereur à la Veillée d’Austerlitz.
Sans être fameuses, les informations ne sont pas mauvaises. Les
cyclos passeront sans trop de difficultés, pour les camions, il
faudra voir sur place. Alors, allons voir. La sortie du Kazakhstan se
fait sans problème, une demi-heure a suffit pour lever la barrière.
Nous voici devant la frontière Chinoise. Il est 11h.45 lorsque
nous pénétrons aussi émus qu’inquiets dans
les terres du Céleste Empire. Contrôle-tampon-contrôle-tampon-contrôle
et nous sommes libres. Tous SAUF un dont le passeport a le nom partiellement
effacé par une goutte de sueur. Discussion, explication, traduction,
objection, décision, permission, ça y est nous sommes au
complet SAUF, les camions. Jean-François, nous demande de rouler,
il faut faire l’étape, lui se charge des ¨emmerdements¨
administratifs. Quel homme ! Il faut vraiment avoir la Foi, et surtout
cet altruisme qui fait le bénévole de haute-lignée.
Faire un voyage tel que celui-là, passer son temps à débrouiller
les ennuis des uns, des autres et de tous ensembles, il faut descendre
tout droit du Paradis ou avoir envie d’y monter. A regret, nous
abandonnons notre G.Q.G. avec l’espoir que tout va s’arranger,
car avec eux, nous perdons toute notre logistique. Pas d’État
Major, pas de camion et de véhicule de secours, pas de bagage et
de matériel de camping, rien. Pour les puristes apôtres de
l’autonomie complète, c’est la joie. Mais j’ai
beau scruter tous les visages, aucun n’est illuminé du sourire
béat de saint Vélocio*. D’accord l’autonomie
complète c’est le nec plus ultra du cyclotourisme, surtout
si l’on circule au milieu des grandes surfaces avec la carte bleue
dans la sacoche. Mais à 10.000 bornes de la maison dans un pays
où l’on ne comprend que les sourires et les grimaces, ce
n’est plus la même chose. La responsabilité du groupe
m’échoit, alors sourions d’un sourire responsable.
Quand on a l’habitude, c’est facile, le sourire est le même
que lorsque l’on est joyeux, mais plus figé. Heureusement
toutes les précautions ont été prises, avec les quatre
autres capitaines, nous faisons un petit état major de fortune.
Un état major Rustine pour parler cycliste. État major bouche
trou, mais qui fonctionne avec la bonne volonté de tous. Nous pédalons
dans une ¨fourmilière humaine¨. Dépaysement absolu.
Nous avons traversé des étendues désertiques, des
steppes à l’infini, des paysages sauvages dans une nature
vierge, La transition en quelques hectomètres, est saisissante.
Une forêt devant nous, nous laisse pantois. Une forêt diras-tu
et alors ? Une forêt oui, mais une forêt de grues. Des chantiers
partout, où trottinent dans tous les sens des coolies chargés
comme des… Béé, je ne trouve pas le mot, il n’y
a qu’eux pour être chargés comme ça. Nous arrivons
à Quingshuihézi, surprise ! surprise ! un comité
de réception avec autorités, groupe folklorique, banderoles
et tambours nous accueille, faisant sauter nos restes d’inquiétude.
Tout va bien, les discours de bienvenue sont entamés, mais une
tempête soudaine raccourcit la petite fête. Nous envahissons
l’hôtel confortable qui nous est proposé, et sans grande
peine nous nous installons dans un confort presque oublié. D’un
seul coup, nous nous apercevons qu’en Chine, tout marche à
la baguette, même les repas, et là, c’est une autre
histoire…. Le repas si il a été succulent et copieux,
a été extrêmement long. Je démontre : chez
nous, les baguettes, c’est pour les tambours et comme nous ne résonnons
pas pareil, il y a incompréhension. Là tout est démontré.
L’incompréhension est un manque de compréhension,
dans compréhension, il y a préhension qui veut dire saisir,
et si l’on ne saisit pas bien, on fout tout par terre, et l’on
doit recommencer. D’où la longueur excessive du repas. C.Q.F.D.
. Dooo do do do, sol fa sol do, do do do ré mi ré do, tiens
c’est l’ouverture de Carmen. Mon portable chante dans ma poche,
c’est Jean-François qui m’appelle pour me donner de
ses nouvelles. Rien de catastrophique, mais ce n’est pas passé
loin. Il raconte : « Nous avons quitté sans encombre après
la tamponnade obligatoire le territoire Kazakhe et 800m. plus loin nous
nous présentons en convoi pour franchir la frontière. Nous
allions nous engager pour passer là rivière, lorsqu’un
garde en uniforme de parade, sa grande casquette dignement posée
sur sa petite tête, demande d’un signe péremptoire
notre arrêt immédiat. Puis, monsieur Lee notre correspondant
chinois s’étant interposé, après salamalecs
et sourires de connivence, la sentinelle nous fait signe de nous garer
au parking tout proche. Nous patientons avec l’espoir que…
mais rien ne s’arrange. INTERDICTION ABSOLUE D’ENTRER EN CHINE.
Nous voyons nos amis cyclos partir vers leur destin incertain, nous avons
tous les bagages. Ordre nous est donné de retourner au Kazakhstan.
Nous rebroussons chemin, et arrivés au poste Kazakhe, le chef nous
dit qu’il faut repartir d’où nous venons c'est-à-dire
Jarkent à 30 km. en arrière. En bon Français que
nous sommes, nous essayons de chicaner, nous reculons et garons nos véhicules
à 400m. de là, sur le bord de la route. Nous sommes presqu’en
guerre. Les gardes-frontières se pointent avec des gestes inamicaux,
mais nous ne bronchons pas. Puis vient l’armée, rien que
ça. Comme Vercingétorix sur son piédestal, je reste
inflexible. Eux aussi. Des pompes contre des Kalakchnikov, ça va
saigner ! De grosses limousines noires des R.G. se présentent,
la tension monte, on se croirait à Hollywood, sauf que c’est
pour de vrai. Comme mon ancêtre Abraraccourcix, je m’apprête
à crier : A l’attaque, lorsqu’un de mes interlocuteurs
me fait comprendre que si nous nous garons gentiment dans le no’
mans land entre les deux frontières, nous aurons la vie sauve.
La sagesse Confucéenne agit des deux côtés, et nous
rejoignons l’endroit indiqué où nous sommes assignés
à résidence surveillée, passeports confisqués.
Il parait que les papiers concernant les véhicules ne parviendront
au poste chinois que dans deux ou trois jours. Pour le moment on en est
là, alors je te dis à bientôt et garde le cap.»
Eh bien il ne me reste plus qu’à sonner l’extinction
des feux sans affoler les troupes. A demain ! René Delhom |
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Dernière
mise en ligne mardi 24 juin 2008 |
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