Récit n°16 Lundi 2 Juin 2008 : 68 ème étape, Talas – Taldi-Bulak / 71 km. Les poètes l’ont dit, les hommes s’en imprègnent : la montagne est le royaume de la sagesse. L’humilité est la première des leçons qu’elle nous donne. Puis à chaque instant que nous vivons, elle instille en nous, la vie, la vie toute simple, celle qui rend les gens heureux, même ceux qui nous semblent les plus démunis. Il me revient en tête un postulat que mon père doté de beaucoup de bon sens nous rappelait souvent : « Quand on n'a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a.» Cela doit résumer ici aussi le sourire heureux offert par les Kirghizes vivant dans ces montagnes que nous traversons. Il suffit de les regarder pour voir la sincérité dans leurs yeux qui disent le bonheur de nous voir. Pourtant que la vie doit être dure dans ces lieux. Quant à nous, peu à peu l’expérience que nous vivons, nous apprend tout cela. Les petits tracas et dérangements du début ne nous effleurent même plus. Les longs moments de méditation que notre mode de locomotion nous permet, relativisent toutes choses, les problèmes s’éliminent d’eux-mêmes. Nous devenons des Bon(zes)-Hommes, pas tout à fait Bonzes, plus tout à fait hommes. Hommes s’entend, empêtrés dans une société de consommation qui nous éloigne de la nature. Le besoin a créé l’unité, tous pour un, un pour tous parait être la devise adoptée par le groupe. Plus de dissension, ni de rouspétance, les inconvénients dus à la vie communautaire et au manque de confort ont assoupli les caractères. Si ces améliorations mentales continuent, en arrivant en Chine, je ne serais plus le Pacha, mais le Dalaï-lama. Je philosophe, je philosophe, je crois plutôt que je gamberge, je ne sais pas si tu me suis, mais c’est ce que je ressens ce matin. La route longe une large vallée, mais elle n’offre pas de grosses difficultés, elle prend tout doucement de l’altitude. Pas de comparaison avec nos Pyrénées plus abruptes. Pourtant dans toutes les montagnes du monde, il y a toujours quelque chose pour nous rappeler notre Pays : les estives et la transhumance. Ici c’est le Litor en cinémascope : l’immensité du décor et l’importance des troupeaux. Innombrables sont les moutons, chevaux, ânes, chèvres et vaches. Si les bergers emploient la méthode Australienne pour compter le cheptel, ils ne doivent pas rentrer chez eux tous les soirs. Il parait qu’en Australie pour compter le bétail, les cow-boys comptent les pattes et en suite, divisent pas quatre. Mais je pense que c’est une blague, non ? Soyons sérieux ! Dans ces pâturages sans fin, les bergers sur leurs petits chevaux circulent sans arrêt au milieu des troupeaux. Ces magnifiques cavaliers semblent soudés sur leur monture. Ils font partie d’une composition cavalier-cheval indissociable. Seules dans la course, les pattes du cheval sont en mouvement. Le corps du cheval semble une barque qui suit les mouvements de la houle en gardant son horizontalité. Le cavalier hiératique, immobile, comme statufié guide l’ensemble dans un galop hallucinant. Ce soir, nous logeons dans des classes, c’est bien. Il n’y a pas d’eau, donc douche sèche, tant pis. Heureux les constipés qui attendent patiemment leur tour devant la porte des chiottes. Avec deux cabines pour plus de cent personnes ….., Mais non, il n’y a plus de râleur. Mardi 3 Juin 2008 : 69 ème étape, Taldi-Bulak – Sousamyra / 88 km. Hé ! Hé ! ça surprend ce matin,
10° au thermomètre. On sort les petites laines, car nous sommes
à 2.000 m. Le temps est clair, le soleil ne tardera pas à
nous réchauffer. Nous nous élançons à l’assaut
des cimes, aujourd’hui, étape de montagne avec des cols à
3.300 mètres. Crois-le si tu veux René, mais léger
comme une biscotte sans beurre je me régale dans ces montées.
Il y a 24 bornes à grimper, j’ai l’impression d’être
l’Ange de la montagne. Facile, avec des pentes entrecoupées
de reposoirs dans un paysage grandiose, je suis au Paradis de Vélocio.
Je ne sais pas où les ânes ont appris à tracer les
routes dans ce pays, il faudra y envoyer nos bourrins de Gazost car ils
ont encore beaucoup à apprendre, notamment le tracé des
routes de cols spéciales cyclos. Nous avons donc gravi ravis notre
premier vrai col : l’Otmök à 3330 m. sans peine. Par
contre les Ponts et Chaussées locaux peuvent venir à Tarbes,
rue Lordat faire un stage pour le revêtement des descentes. Ici
elles sont franchement casse-gueules. Il faut avouer que dans ce pays,
la ¨D.D.E.¨ locale, n’a certainement pas les moyens mécaniques
des Hautes-Pyrénées. Mais avec Céleste admirable
en tous terrains, même pas peur ! Ça passe sans casse. Ses
grosses ¨papattes¨ tiennent la route quelque soit son état. Mercredi 4 Juin 2008 : 70 ème étape, Sousamyra – Bichkek / 147 km. Cette nuit nous avons testé notre matériel
de camping. Aussi étanche que les toits en ardoise de Saint-Créac
mon vieux. Pas une goutte d’eau n’a réussi à
espionner l’intérieur des tentes. Avec l’orage qu’il
a fait cette nuit, je n’avais qu’une frousse, c’est
d’avoir à me lever pour aligner les bassines par terre. Eh
bien non, c’est du Hi’tech ! et pourtant, ça tombait
dru. Notre Breton d’origine contrôlée a avoué
la tête basse, que même à Brest il n’a jamais
plu comme ça. Tout a du tomber en même temps, puisque ce
matin au lever, c’est le grand bleu. Il ne reste plus le moindre
petit nuage dans le ciel. C’est un démarrage à froid
pour dire vrai, encore tout engourdi il faut actionner la moulinette.
Le col du Trï-Asuu nous attend. Il n’est pas pressé
et nous non plus, alors nos muscles bien entrainés poussent facilement
vers le sommet, nos carcasses amaigries. Té ! Nous sommes tellement
maigres, que même les aigles nous dédaignent. Ils passent
indifférents au dessus de nos têtes. Seuls peut-être
les vautours ou les gypaètes pourraient s’intéresser
à nos os saillants. mais avec eux, tant que l’on bouge, on
ne risque rien. Je me persuade aisément et preuves à l’appui,
que le Cyclotourisme, est le sport le plus naturel qui soit. Regarde !
Je ne sais pas si tu as remarqué, mais la nature choisit toujours
la facilité, l’électricité emprunte le chemin
de moindre résistance, l’eau, la plus forte pente (descendante)
etc… Le Cyclotouriste lui est tout aussi naturellement partisan
du moindre effort. Plus ça monte dur, plus il pousse petit. Pas
que la difficulté le rebute, bien au contraire, souvent il la recherche.
Seulement il la prend dans le sens du poil, tout en douceur afin de mieux
la vaincre en la dégustant. C’est là toute la beauté
de notre religion fédérale : vaincre tout ce qui nous passe
sous les roues, en savourant tout ce qui les entoure. Je râle quand
j’entends parler de souffrances, de grosses cuisses, de dépassement
de soi-même. A la Fédé, je n’en connais pas
un qui se soit dépassé, moi je n’ai jamais réussi.
Pourtant quelques fois, il m’est arrivé de placer une mine
pour rigoler, mais si j’ai largué mes camarades, je suis
toujours resté en ¨dedans de moi¨. Je suis persuadé
et te l’ai déjà dit, que le cyclotourisme est le sport
le plus complet qui soit, ça muscle même la langue. Tu t’imagines,
je grimpe un col à plus de 3000m. et je discute avec toi comme
si nous étions attablés à la terrasse du Leffe à
Lourdes. Ah ! nous arrivons au tunnel. Tout le monde se regroupe pour
passer dans cette galerie longue de 3 km. La police qui ne dort que d’un
œil, surveille notre lente progression en assurant une couverture
sécurisante. Puis une descente comme on les aime : Temps magnifique,
bonne route, décor somptueux, ivresse de la vitesse, stops photos.
Un régal, tandis que nous descendons, la température monte.
Alors on fait un ¨break¨ pour le pique-nique. Douce récupération
et nous repartons pour 70km. sans histoire dans la large vallée
qui nous mène à Bichkek. Plus magnifique que magnifique,
c’est quoi ? C’est aujourd’hui. Une journée de repos dans notre expédition,
c’est le même programme. Levé parmi les premiers pour
avoir de l’eau chaude, toilette approfondie, puis petit déjeuner,
lessive, soins à Céleste, réunion du Q.G. en suite
au choix, repos ou visite de la ville. Bischkek est une petite ville bien
agréable où il fait bon promener. Mis à part le Musée
National et quelques petits parcs il n’y a pas grand-chose à
voir. Vendredi 6 Juin 2008 : 71 ème étape, Bischkek – Kemin / 106km. Il est flagrant que la quiétude d’un jour
de repos, efface les vicissitudes antérieures. Ce matin, tout le
monde est de bon poil. Ou peut-être est-ce la présence de
notre Président fédéral Dominique Lamouller, qui
fait que chacun veut présenter son meilleur profil. Toujours est-il
que l’on ne voit pas une trogne renfrognée au départ.
Tout le monde est souriant, tiré à quatre épingles,
le pli au cuissard et tout et tout, en somme l’image du bonheur.
Les civilités et congratulations terminées, nous continuons
l’aventure. Affutés comme nous le sommes actuellement, il
nous serait possible en remontant la rivière Tchou de larguer notre
Président. Mais outre que cela ne se fait pas, on accompagne un
président, on ne le largue pas, et puis avec ce diable d’homme,
on ne sait jamais. Nous connaissons sa puissance cérébrale,
mais dans le doute, nous évitons de déclencher celle de
ses mollets. Pendant plus de cent kilomètres, nous remontons de
concert cette belle rivière qui arrose une large vallée
bordée de hautes cimes ou brillent les neiges éternelles.
« Nous revenons, oh ! Souvenir fidèle, pour saluer les neiges
éterneeeeelles, des fiers sommets Pyrénéeeeens.»
La chanson des Montagnards Bagnérais me revient en tête.
Tu vois on n’oublie pas facilement un pays comme le notre. Il y
a beaucoup de similitudes, mais la grosse différence avec celui-ci,
c’est l’immensité. Je ne sais pas si Dominique sait
qu’il roule sur de la route goudronnée, car il a le nez en
l’air depuis le départ. Ce dont je suis sûr, c’est
que d’ici ce soir, il aura épuisé toute sa réserve
d’adjectifs pour qualifier la beauté des paysages qui ont
défilé sous ses yeux. La campagne est fertile, les champs
de blé, de seigle et de maïs se succèdent. Les arbres
fruitiers participent à la richesse d’une région qui
passe tout doucement et sans heurt du 19ème au 21ème siècle.
Nous avons parcouru les deux tiers de l’étape lorsque le
casse-croûte est signalé. Je ne sais pas si je te l’ai
déjà dit, mais à chaque fois j’ai la même
image qui s’affiche devant mes yeux, celle des Ballets Moïsseïev.
Tu verrais ce mouvement d’ensemble pour lever la jambe et descendre
de vélo, c’est à la micro-minute. Pas de feignant,
d’arthrose ou de rhumatisme qui tienne, je soupçonne le cuistot
de préparer sa tambouille à l’eau de Lourdes. Ne nous
pressons pas, il ne reste que trente km. et le téléphone
arabe nous averti qu’il n’y aura pas de yourte à monter,
ce soir, nous gîtons et cogitons dans une école. Grand moment
de silence et de réflexion lorsque notre Président préféré
lance à la fin de son petit speech : « Vraiment c’est
un raid magnifique, unique au monde et relativement facile, je pense qu’il
faut le maintenir dans notre patrimoine Fédéral.»
Et dire que nous avons applaudi ! René Delhom |
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mise en ligne dimanche 15 juin 2008 |
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