Jeudi 8 mai 2008 : 48ème
étape, Kharabali – Astrakan / 150 km. prévus, 192
km. réalisés
Le départ matinal justifié par la longueur de l’étape,
nous lance d’emblée dans la steppe. De longues, longues lignes
droites, désespérantes de longueur, au milieu d’un
paysage semi-désertique n’incite pas ma Muse à faire
des prouesses. Elle se borne timidement à enregistrer quelques
images que ma force télépathique en perdition te transmettra
avec parcimonie. Que dire de cette étape, sinon que le seul avantage
offert par notre encadrement permanent est ce-lui de nous faire connaître
tous les participants obligés de rouler de concert. Notre peloton
ressemble, publicité non comprise à un peloton du Tour de
France. Impensable chez nous, ici dans l’immensité du territoire
et le peu de circulation, cela n’est pas gênant. Le soleil
com-mence à exagérer, et dans ce coin perdu si tu veux de
l’ombre, il faut te la faire. Notre bron-zage prend la teinte du
pays. Nous sommes caramélisés, et avons enfin endossé
la tenue ca-mouflée qui sied si bien aux cyclistes. Il fait chaud
et nous pédalons, bou Diou qu’est ce que nous pédal….Oh,
les gars, on freine s’il vous plait, ça sent la cuisine !
J’ai les sinus dans l’estomac. Nos amis cyclos Astrakanais,
nous ont préparé un vrai festin de boy-scout. Un feu de
bois où mijote une soupe de poissons qui nous fait saliver d’avance.
Le cliquetis des bé-quilles qui se tendent me dit que l’invitation
a été reçue 5/5. Le lieu est bien choisi pour la
dégustation d’un déjeuner à faire tomber Curnonsky
en pâmoison. La délicieuse soupe de poissons très
appréciée nous ouvre un appétit Gargantuesque. Sans
un demi-soupir, est ingur-gité un plat de riz et viande accompagné
d’une pipérade à la mode Kazakhs, que si tu en abu-ses,
tu pédales en danseuse le reste de la journée. Heureusement
que la jolie clairière dans le delta de l’Akhtouba dispense
une fraîcheur qui atténue l’intense combustion interne
des condiments. Pour si bien que l’on soit, il nous faut repartir.
Évidemment, nous démarrons l’estomac lourdement chargé
de calories de réserve. La suite de l’étape ne nous
le fera pas regretter. Puisque à ce que l’on dit, les voies
du Seigneur sont impénétrables, alors je le soup-çonne
d’habiter dans les environs car les voies de pénétration
à Astrakan sont tout à fait de cette nature. Impossible
selon les dires de nos anges gardiens, de pénétrer dans
la ville sans faire un détour de 42 kilomètres, ce qui rajouté
aux 150 prévus nous laisse les guibolles fla-geolantes. Mais le
cœur est tout de même content, car la fin du parcours nous
fait traverser le delta de la Volga et c’est tout simplement magnifique.
Mais oh ! combien apprécions nous aussi la fin de cette longue
étape. Ça commençait à ronchonner dans le
peloton, jusqu’à dire que les capitaines de route étaient
des dictateurs qui n’écoutaient que leurs idées. Mais
crois-moi, l’État Major tient bon. Demain repos, alors je
commence tout de suite. Dobraj nóchi !
Vendredi 9 Mai 2008 : Repos – travaux
pratiques – visites officielles ou non.
La paupière gauche se soulève péniblement, comme
si elle était attelée à sa sœur de droite qui
n’a pas encore esquissé le moindre mouvement. Elle reste
un moment immobile, cherchant un second souffle puis termine son ascension
dans un effort terrible qui réveille du coup sa fran-gine. Un semblant
de vie s’insinue dans mon corps et mes membres commencent à
bouger.
Des pensées illuminent mon cerveau, très faibles d’abord,
puis de plus en plus précises. J’émerge ! Quel est
mon âge aujourd’hui ? Je n’en sais fichtre rien, je
me sens vieux, impo-tent. Je fais un quart de tour à droite et….referme
mes paupières. Ponctuées d’un grand éclat de
rire, je sens trois pointes s’enfoncer dans ma poitrine. Je le reconnais
ce méchant intrus, c’est Belzébuth de Berbérust,
celui qui vient me chatouiller de sa fourche lorsqu’à la
maison, un coup de flemme me terrasse. « Ah! Ah! Ah! Ah! Le voila
le Pacha, celui qui se prend pour le Nelson des Cyclotouristes. Bonne
mine l’Amiral ! Foutu ! Tombé, terrassé ! Tombé,
terras-sé ! Tooommbbééé, téééérraaasssééééé
!!! » Mais il se fout de moi ce vilain cornu. Il ne m’en faut
pas plus pour que je saute de mon lit comme une puce sur les fesses de
ma Chérie. En un clin d’œil tous mes osselets se remettent
en place, je fais une toilette approfondie car des visi-tes officielles
sont prévues au programme et me voila fin prêt pour le petit
déjeuner. En forme le mec ! Avant tout, il faut penser à
Céleste. Égoïstement, je ne parle pas beaucoup d’elle,
pourtant c’est grâce à elle que je suis ici. Docile,
confortable, increvable elle fait son chemin quelque soit le temps, la
température ou l’état de le route. Lorsqu’elle
me voit arriver ce matin en tenue de pékin, ses poignées
de frein se soulèvent d’étonnement. La pauvre, toute
couverte de poussière, cra-cra de partout, c’est le cas de
dire : elle fait grise mine. Comme tous les cos-tauds elle réagit
instantanément à l’éponge miracle, et c’est
toute belle, rutilante et huilée comme une star que je la laisse
se rendormir. Ses poignées de frein se rabaissent lentement, je
la quitte sur la pointe des pieds. Dors bien ma Céleste, nous n’avons
fait que la moitié du chemin. Un car nous attend pour nous amener
sur la grande place où doit se dérouler une pa-rade militaire.
Il faut avouer que ce n’est pas ma tasse de thé. Comme chez
nous, c’est fanfare et gonfanon, poitrine gonflée et tête
haute. Ces parades ne sont que propagande, et quand je pense à
ce que deviennent ces armées sur un front de guerre, les horreurs
qu’elles génèrent ou qu’elles subissent…
C’est beau, c’est martial, c’est tout ce que tu veux,
mais ça sème la Mort. Je n’aime pas ! J’ai regardé
défiler une charmante compagnie de jolies filles en jupette, j’aime
et je suis parti visiter le Kremlin d’Astrakan. Moins important
que celui de Moscou, tout bâti en pierre il a tout de même
fière allure flanqué de ses sept tours. Trois sont percées
de portes, deux au nord-ouest s’ouvrent sur la Volga et la troisième
coiffée d’un clocher est située à l’est.
En sortant par cette dernière, on tombe sur la Cathédrale
de l’Assomption. En Russe elle s’appelle, attend je prends
mon souffle : Prechistenskaya Bashnya ! Magnifique, elle est entourée
d’une galerie, véritable feston de pierre à deux étages.
Je baguenaude encore un moment en revenant vers notre gîte. J’ai
besoin d’un petit somme supplémentaire.
Samedi 10 Mai 2008 : 49 ème étape, Astrakan – Ganyushkino
/ 135km.
Ce matin personne ne rouspète contre notre départ retardé.
Les éternels inquiets se taisent, pas plus pressés que les
autres pour reprendre la route. Nous attendons Monsieur le Gouverneur
de la Région qui est revenu spécialement de Moscou pour
donner le signal de départ. C’est une très bonne attention
de sa part, mais il est neuf heures quand, comme aux cent mètres
des J.O. il nous libère d’un coup de pistolet. Du jamais
vu ! encore une nouveauté dans le monde cyclotouriste. Lentement,
tous groupés, nous traversons les multiples bras de la Volga, nous
faisons dans le Cyclotourisme contemplatif, c’est beau. Le passage
sur un pont flottant nous fait éprouver des sensations inconnues,
le roulis et le tangage à bicyclette. Il est onze heures lorsque
nous atteignons la frontière Russe. Je ne m’étendrai
pas sur le fonctionnement des fonctionnaires russes. Tout ce que je peux
en dire, c’est qu’ils fonctionnent fonctionnellement. Je ne
sais pas s’ils prennent nos passeports pour des B.D. adultes, mais
ils se les passent de bureau en bureau, et on en sort pour rentrer dans
un autre qui te renvoie au premier, ça n’en finit pas. Le
moral est bon même si les troupes ne sont pas très fraîches.
Douze kilomètres plus loin nous arrivons joyeux au Kazakhstan.
Encore un nouveau pays à découvrir. Bé ! comme découverte,
ça fait plutôt réchauffé. Si les locaux sont
flambants neufs, les méthodes archaïques de fonctionnement
prouvent que Malinowski le champion de l’Analyse fonction-nelle,
n‘a pas fait école dans le secteur. Le seul trait de caractère
commun avec nos fonction-naires, c’est qu’ici aussi ils savent
lire l’heure. A six heures tapantes, ils nous plantent sur le seuil
et ferment le porte pour aller dîner. Espérons que la soupe
ne sera pas trop chaude. Il ne leur a fallu qu’une heure, mais nous,
nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge. Pifff !.... sur le
tampon encreur…. Pafff sur le passeport. Après examen minutieux,
Repifff…. et Re-pafff. Nous avons aussi avancé notre montre
d’une heure, c’est donc Kazakhstan by night que nous visitons.
Un gymnase est mis à notre disposition, c’est bourré
de sandwichs que je me couche et m’endors sans cligner des paupières.
Dimanche 11 Mai 2008 : 50 ème étape,
Ganyushkino – Aqqistaw / 159 km.
« Oh ! Céleste qu’est ce qu’il t’arrive
? Pourquoi freines-tu ?» « Poouuuiii ! Poouuuiii ! »
«Comment tu ne freines pas ? » «Poui ! poui !»
« Pourquoi est-ce si dur ce matin, c’est moi qui rame alors
? » « Poouuuaaaa ! » C’est bien ça, je
suis en carafe. Mais les autres n’ont pas l’air plus frais
que moi, personne ne cherche à me doubler pour prendre le vent.
Il est vrai que les séances de passe-frontières nous escagassent
plus que nos longues pédalées. Le paysage est assez attrayant,
on se croirait dans un film. Tu sais ces films où l’on voyait
les Huns galo-per dans la plaine massacrant les autres au passage. Sauf
qu’ici personne ne massacre per-sonne. La steppe verdoie et la bruine
poudroie, nous avançons tranquillement sur une route assez confortable.
Longue ligne droite de 70 km. où nous croisons des troupeaux de
chevaux qui comblent nos souvenirs de chevauchées fantastiques.
Tout à coup, coup d’arrêt brutal. Des dromadaires nonchalants
déambulent sur la chaussée, surveillés par des Kazakhes
à cheval aussi indolents que leur cheptel. Les numériques
s’en donnent à cœur joie, ça crépite de
par-tout. Mais la police veille, elle est là pour maintenir l’Ordre,
et l’Ordre est rétabli. Vingt heu-res ont sonné depuis
longtemps lorsque nous pénétrons dans le petit bourg d’Aqqistaw.
Je te l’ai déjà dit que le Grand Kan avait du essaimer
dans le quartier. Tu verrais la bobine des in-digènes, de vrais
Mongols, belles trognes pour des livres de Géographie. Décidément,
rentré en France, ma prochaine rando, je la fais sur la côte
d’Azur, et ce coup-ci, je me paye un mois au Négresco. Tant
pis, je règlerai avec ma carte bleue sans regarder la note, ça
fera moins mal. Dans le bled, c’est plutôt dépourvu
question hôtellerie. Il était prévu un hôtel
et des chambres chez l’habitant. Mais seulement13 puciers pour 116
clients, après palabres, il est convenu que cela ferait un peu
trop tassé, acceptant à l’unanimité la proposition
de monsieur le Maire, nous allons dormir au gymnase.
Lundi 12 Mai 2008 ; 51 ème étape, Aqqistaw – Attiraw
/ 90 km.
Départ 8h.30 pour cette étape. C’est appréciable
après les longues étapes de ces derniers jours. Comme quoi,
dans la misère, le moindre petit détail peut rendre heureux.
Nous sortons de ce pauvre village en pataugeant dans la boue et les flaques
d’eau. Les rues ne sont pas goudron-nées et les poubelles
inexistantes. C’est sale ! Le pétrole ne fait que passer,
il passe par trains citernes sans s’arrêter. C’est bien
connu, si le pétrole ne s’arrête pas, il ne peut pas
laisser de dividendes. Pourtant il y a de l’espoir, dans une campagne
triste à mourir, se dressent les si-gnes indubitables d’une
future richesse. Les puits de pétrole, commencent à dresser
leur archi-tecture éphémère. Ce parcours relativement
court ne laissera pas d’empreinte dans mon esprit. Heureusement
qu’au bout du chemin, un petit évènement sans grandes
conséquences, mettra un peu de piment dans l’aventure. Pour
la deuxième fois consécutive, le réceptionniste de
l’hôtel, s’est emberlificoté dans ses chiffres,
au lieu des 116 lits retenus, il n’en reste plus que 40 de disponibles.
Mais la ville est riche et moyennant finances nous trouvons à des
prix de Financiers de quoi nous loger. Bonne hôtellerie dont nous
apprécions la carte et le confort à leur juste valeur, Profitons-en
car la semaine prochaine, nous aurons peut-être des cailloux sous
les matelas.
Mardi 13 Mai 2008 : 52 ème étape,
Attiraw – Makat / 132 km.
Dans ma tête ce matin, c’est notre grand Napoléon qui
s’y niche. Ce beau soleil qui nous chouchoute me fait penser à
Austerlitz. Voilà, c’est le Soleil d’Austerlitz ! et
sous cet astre de gloire nous pédalons rondement. Tout baigne,
quand sans regret, nous quittons l’Europe pour entrer conquérants
en Asie. Nous traversons l’Oural, frontière virtuelle entre
les deux conti-nents. L’épopée Napoléonienne
continue, c’est l’euphorie, la moitié du raid a été
parcourue sans casse, ma Céleste s’adapte facilement à
toutes les situations et moi aussi. Tiens, il fait bien sombre tout à
coup ! L’Aigle Impériale plane sur nous, rien ne peut nous
arrêter. Mais est-ce le tournant de l’aventure, nous bifurquons
à droite, laissant la bonne route goudronnée pour nous engager
sur un chemin mal revêtu. Afin d’arranger la sauce, il pleut.
Il pleut, et la saucée que nous prenons transforme notre chemin
en cloaque ou la profondeur des flaques cachée par le plein d’eau
devient dangereuse. Plusieurs chutes sont enregistrées, nous appre-nons
que les camions sont embourbés, c’est la Bérézina
! Tout comme la Grande Armée, nous arrivons à Makat, sales,
crottés, boueux, trempés, affamés, mais indestructibles.
Nous péda-lons encore fièrement pour recevoir l’ovation
de la foule en délire. Des enfants nous accom-pagnent en courant,
tandis qu’aux bords de la chaussée, les habitants applaudissent.
Sur la Grand-Place, des jeunes filles en costume régional, nous
offrent le gâteau et le lait de cha-melle. Nous envahissons un grand
local aimablement mis à notre disposition, pour ce soir ce sera
notre palace sans étoile.
René Delhom |