Récit n°12

Samedi 3 Mai 2008 : 44ème étape, Morozoyskaia – Sourovikino / 92 km.

Oh ! Grand Vélocio, pourquoi n’y a-t-il pas ta statue au sommet de l’Olympe ? Apôtre, et comme dirait DuponT ¨même plus¨, dieu du Cyclotourisme. Cette montée en grade, est très largement justifiée puisque l’arbre que tu as planté porte maintenant tous ses fruits. Regarde la multitude de disciples qui suivent ta roue poly-multipliée. Jette un coup d’œil par-dessus tes lorgnons, tu seras éberlué par les randonnées inscrites sur le calendrier de la Fédé. Et surtout, je veux avoir des fesses de vieux chimpanzé, si la dernière née, en cours actuellement, ne te fait pas retourner ton biclou pour redescendre sur terre. Je veux parler de Paris–Pékin, une paille ! Douze mille bornes, et encore je mesure entre bornes de chez nous, parce qu’ici chez les Slaves, il y en a beaucoup qui dépassent les mille mètres. Le cyclotourisme comme tu nous l’as enseigné est certainement le sport le plus populaire et le plus universel qui soit. Universel comme le déluge qui tombe aujourd’hui sur nos casques normalisés. Populaire comme le Tour de France et les Jeux Olympiques, la foule qui nous a accueilli en fin de parcours avec tant de joie en a donné la preuve irréfutable. Si nous n’avons pas reçu la médaille et les Lauriers de la Gloire, le Pain et le Sel offerts, valaient bien davantage. Ils venaient directement du cœur de cette foule amicale et généreuse, et non des coffres magouillés du C.I.O. Les Cosaques en costume traditionnel, nous les avons vus en vrai, bien plus beaux que dans les superproductions Américaines. Et tout ça pour nous : Cyclotouristes. Alors, où en suis-je moi ? Ah oui, j’ai dit Universel et Populaire, je dirais aussi Vivant. Vivant comme la Vie, c'est-à-dire avec ses joies (nous venons d’en profiter) et ses emmerdements (qui ont suivi.) La pluie, si ça nettoie le ciel, en arrivant sur Terre, comme le disait notre regretté Génie à tête de choux, c’est la gadoue ! la gadoue ! la gadoue ! Nous modifions notre itinéraire pour cause de gadoue. Les camions d’accompagnement sont embourbés. Heureusement, la vigilante et très professionnelle police est là pour nous sauver la mise. Brave police, indispensable police ! Qu’aurions nous fait sans elle ? Emmerdés jusqu’aux marchepieds. Récapitulons : Universel, Populaire. Vivant, j’allais oublier : Complet. Voici le moment le plus affreux de notre périple, celui où Céleste et moi devons nous séparer. Moment de cruel déchirement, car il me faut la déshabiller de ses sacoches avant de la faire grimper dans le camion. Moment d’injuste souffrance, elle se sent toute nue et moi je plie les genoux sous leur poids. Va falloir que je pense à alléger le chargement. Nous voilà partis pédibus chargés comme des bicyclettes. Je ne savais pas, mais je dois ajouter que le cyclotourisme est un sport Acrobatique. Eh oui ! Il nous faut passer une rivière rugissante sur un pont de singe. Vois l’image. Les uns se bouchent les oreilles pour ne pas entendre le grondement menaçant du torrent. D’autres, se cachent les yeux, atténuant ainsi leur peur du vide. Et enfin certains portent leurs mains devant la bouche, refreinant l’envie de vomir que leur procure le doux balancement de la passerelle. Nous arrivons enfin à Sourovikino légèrement crottés, tranchant singulièrement avec nos amis Cosaques qui nous reçoivent en costume de Fête. Réception à la Cosaque, où polkas, mazurkas et vodkas tourbillonnent et font tourbillonner. Tu as vraiment droit à ta statue Vélocio.

Dimanche 4 Mai 2008 : 45ème étape, Sourokinivo – Volgograd / 145 km.

Remonter le Don, ce n’est pas donné pour un cyclo. Lorsqu’on remonte un fleuve, c’est que l’on ne descend pas aurait dit Monsieur de La Palice . C’est vrai, en plus avec vent contraire, je me laisse à rêver d’un Vélosolex. Elle m’aide comme elle peut ma Céleste, elle essaie de tourner ses pédales bien en rond, mais les guiboles ne sont pas synchros, elles prennent des allures indépendantes qui nuisent au bon rendement de l’ensemble. Pourtant il fait beau, et je devrais foncer comme un Alpha-jet. Je crois que je grippe un peu. L’abus en toute chose n’est jamais bon, et la vodka hier au soir…. si elle m’a aidé pour la ¨guinche¨, ce matin pour pédaler, ce n’est pas la panacée. Je rame dans ce pays pas pittoresque pour un sou. Ce n’est pas ici que l’école de Barbizon aurait impressionné qui que ce soit. Et moi, je rame, bon Dieu que c’est long aujourd’hui. Quel est le couillon qui chante derrière ? Bon on la connaît. « Oh là tire ! Marche tire ! Le temps tire avec toi, tire tirera. Oh là marche ! Tire marche ! L’oiseau chante là-bas,… » Il continue ! Mais il se fout de moi celui-là ? «Eh ! Chaliapine si tu as du souffle en trop, passe devant, tu pourras plus facilement regonfler ta cornemuse. Ah ça te la coupe hé ! Bé tu vois moi ça va mieux. Tu peux y aller, vas-y tire, tire tant que tu veux maintenant. Les Bateliers de la Volga, tu parles, les Bateliers de la Volga ? » . « Moi qui croyait te faire plaisir et t’enlever cette mine de croque-mort en approchant du fleuve.» . «Oh ça va, excuse ! Je suis un peu barbouillé ce matin, et à choisir, je préfère à ton air d’opérette, celui que tu me coupes actuellement.» C’est sans autre anicroche que nous faisons notre entrée dans l’immense ville de Volgograd. Accueil à la dimension de la Cité. Le président de l’Office des sports, un représentant de l’U.C.I., des cyclistes, la presse, la télévision, nous reçoivent sur la Place de la Victoire. Après les congratulations protocolaires, six délégués de la Fédération Française de Cyclotourisme vont déposer une gerbe sur la Dalle Sacrée où brûle continuellement la flamme du souvenir. Car Volgograd ville martyr, jusqu’en 1961 s’appellait STALINGRAD.

Lundi 5 Mai 2008 : étape de repos :grasse matinée,visitede la Ville, sieste et corvées :

Ils ne sont pas passés. Stalingrad ! Verdun ! Même courage, même martyre, même gloire. Stalingrad, l’une des plus grandes batailles de la seconde guerre mondiale, celle qui a incité la Victoire à changer de camp. Au début du mois de Septembre 1942, l’orgueilleux Reich Allemand vit sa VI ème armée commandée par von Paulus pénétrer dans la ville. Mais bloquée par une défense héroïque, elle ne put jamais traverser la Volga. Encerclée à son tour, elle dut déposer les armes et capituler le 31 janvier 1943. Deux cents jours et deux cents nuits d’enfer, où les corps d’élite de Hitler laissèrent trois cents mille morts. C’était le début d’une défaite inéluctable. Des millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts là, victimes d’un fou mégalomane. Le souvenir de ces moments atroces flotte encore dans l’air, et la ville a cette aura magnétique des lieux sacrés. Affrétés par la municipalité, deux cars sont venus nous chercher pour une visite de la ville. A dix heures, nous pénétrons dans le Mémorial de la Guerre. Gigantesque musée retraçant l’histoire deVolgograd. Dans une salle de projection, un film relatant les durs combats et les souffrances de la population, nous est présenté en privé. Le sacrifice des pilotes Français de l’escadrille Normandie-Niemen y est longuement exposé. Nous sommes très touchés de cette délicatesse. Ils n’ont pas oublié. Monsieur le Maire de la Ville, dans un discours chaleureux traduit simultanément en Français, a souligné la solide amitié qui liait nos deux peuples. La Marseillaise suivi de l’hymne Russe renforçait le sentiment que nous éprouvions. Mélange de respect et de confiance, l’émotion qui nous étreignait, devenait palpable et oppressante. Jean-François, au nom de la Fédération et en notre nom à tous, a su répondre sur la même portée. Dire combien nous étions honorés d’êtres reçus en amis. Fiers que notre pays, son peuple, et nous mêmes par le trait d’union que nous traçons actuellement entre les pays traversés, travaillons efficacement pour la Paix dans le Monde. L’après–midi, nous montons au Mamaev Kurgan (tertre de Mamaev), où se déroulèrent les plus terribles combats. Cette œuvre monumentale, due au sculpteur Vuchetich et à l’architecte Belopolsky a été inaugurée en 1967. Sur l’esplanade, à son pied, le mémorial de la Patrie. Une flamme y brûle, gardée par deux soldats en grand uniforme. ¨La Rêverie¨ de Robert Schumann fait planer son message de Paix. Le grand musicien allemand, fait ainsi une demande posthume de pardon pour les crimes commis par ses compatriotes. En montant la colline, une première statue de 11m. de haut représente un combattant terriblement musclé, tenant dans ses mains un fusil-mitrailleur et une grenade. Puis le grand escalier conduit au sommet où se dresse la statue de la Mère Russie levant à bout de bras, une épée pointée vers le ciel. Colossale statue de 90m.de haut. C’est avec une multitude d’images, de souvenirs et de pensées tour à tour pleines de tristesse ou d’espoir que nous regagnons nos pénates. Les petites corvées et la grosse sieste nous attendent.

Mardi 6 Mai 2008 : 46 ème étape, Volgograd-Akhtubinsk / 156 km.

Bien reposé, l’estomac ayant engrangé une réserve maximale de calories, Céleste brillante comme un sou neuf, contrôlée et bichonnée, nous démarrons à 7h45, c'est-à-dire demi-heure plus tôt que d’habitude. Aujourd’hui, ce n’est pas de la rigolade. Cent soixante kilomètres à se taper. Tu me diras à quarante à l’heure de moyenne puisque c’est tout plat, ça ne fait que quatre heures de boulot, comme les employés de bureau. OK ! mon pote, bien calculé, sauf que nous ne sommes pas dopés à l’insu de notre plein grés nous. Dans une expédition comme Paris-Pékin, nous pédalons Fédéralement. C'est-à-dire que nous incluons dans notre temps de route, tous les arrêts, crevaison, photo, pipi, pique-nique etc.etc. crois-moi, la moyenne chute drôlement. Et puis la moyenne chez nous est tout ce qu’il y a de plus élastique. Plus le nombre de pédaleurs est grand, plus elle est petite. Les incidents sont plus nombreux. Pour un groupe de vingt cylos, on calcule sur 15 km/h. de moyenne, et c’est déjà pas mal. Et puis nous ne sommes pas venus pour ne regarder que le goudron et faire une étude sur le macadam de chaque pays, rien à voir avec le C.N.R.S. Nous voulons connaître d’autres pays, d’autres paysages et d’autres gens. Nous connaître nous-mêmes aussi, ce qui est le plus difficile, aussi difficile que de reconnaître ses propres erreurs. Tu vois en discutant, le temps passe plus vite. Nous avons déjà parcouru vingt kilomètres. La Volga ici, c’est une mer. Nous la traversons sur un barrage aux incroyables dimensions, toujours accompagnés par nos indispensables mais discrets frères Siamois. La Volga qui descendait plein Sud, vire au Sud-Est et de suite le paysage change. Plus de verdure, une terre sèche et poussiéreuse préfigure le Kazakhstan où nous allons entrer bientôt. Des troupeaux de moutons paissent une herbe maigre. Ça ne sent pas la richesse, à moins qu’elle ne soit dans le sous-sol ? Il commence à faire très chaud dans le secteur et les Saloons ne sont pas aussi nombreux qu’en Arizona. Ce n’est pas étonnant si John Wayne et Gary Cooper ne sont jamais venus tourner ici. Mais je ne donnerais pas ma Céleste pour une bière. Elle avance, sobrement. Sans à-coup, elle enfile les kilomètres en douceur et bien dans ma peau, j’arrive avec mon groupe noir au terme de l’étape à Akhtousbinsk. Réception en fanfare, les autorités locales ont organisé une vraie petite fête, Groupe folklorique, enfants offrant le pain et le sel traditionnels. Si nous ramenons en France tout le sel que nous avons reçu, les paludiers de Guérande ont du souci à se faire. Quels bons souvenirs nous aurons de ces gens. Il est dommage que la Terre soit si grosse, nous aurions grand plaisir à les revoir plus souvent. Ils remplacent avantageusement dans mes souvenirs nos grincheux chroniques, toujours les mêmes à rouspéter et à ne rien faire pour que ça s’arrange. Ces types là n’ont rien à faire dans l’aventure que nous vivons. Allez OUSTE ! au club Méd. Ils commencent à m’échauffer, et mes poils se hérissent. Et quand mes poils se ... mais tu connais.

Mercredi 6 Mai 2008 : 47ème étape, Akhtubinsk - Kharabali / 140 km.

Ça y est on rentre pour de bon dans le Far-Est. Nous partons de plus en plus tôt. Ce matin, il est 7 heures dix tapantes lorsque le signal de départ est donné. Nous chevauchons nos dociles montures, dans un paysage presque désertique. On s’attend à voir surgir non pas des Indiens comme tu aurais pu le penser, mais les hordes mongoles de Gengis Khan. Mais non !je blague. Quoique à voir les autochtones, il a du venir dans le coin et semer sa petite graine. Ils n’ont pas la figure Slave, ou alors ils n’ont pas été Slavés depuis longtemps. Elle est belle celle là, eh ! Facile mais belle, fallait la trouver. Je suis content de moi. Tu remarqueras que je baratine beaucoup, mais je ne parle pas trop de notre étape. Eh bien si je n’en dit rien c’est qu’il n’y a pas grand chose à dire. Je pourrais quand même souligner que la végétation arbustive, est plus dense qu’en début de parcours. La terre est cultivée. Et là je ne comprend plus, elle est cultivée sous serre. Des serres à perte de vue, ah ! mais je vois, il y a des petits canaux qui serpentent entre les serres. Ils se servent de l’eau du fleuve pour irriguer leurs plantations. Ce fleuve, c’est l’Aktouba, elle coule à peu de distance, en parallèle avec la Volga. Nous la longeons depuis Volzhsky, c'est-à-dire depuis notre traversée de la Volga sur le gigantesque barrage. Ce soir il y a fiesta chez les Gauchos. Deux Saloons pour nous recevoir. Dire que le confort n’est pas le souci principal du Taulier, est encore un euphémisme. Les grincheux vont encore ¨grincher¨ comme les lits qui ne sont pas de première jeunesse. La douche est froide, mais c’est une douche. John Wayne après une chevauchée fantastique, se trempait le fion dans un baquet. Et puis ici il y a au moins un W.C. pour… 115. Vive le Vélo !!!

René Delhom

Mis en ligne lundi 12 mai 2008

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