Récit n°10

Mardi 22 Avril 2008 : 34ème étape, Nikolaïev – Kherson / 75 km.

Quand notre ¨Cantagoy ¨* bigourdan Momond Duplan, chante de sa Bagnéraise et non moins splendide voix :
Un Béarnais, un Bigourdan dès qu’ils sont deux, c’est presque une chorale.
Deux Béarnais, deux bigourdans ce sont déjà des chœurs de Cathédrale.
C’est vrai, mais ici, l’exception confirme la règle. On ne chante pas, mais on pense à lui et nous aimerions bien chanter le soir à l’étape. Ça nous démange, mais nos gosiers de rossignols, en fin de soirée ne ressemblent en rien à celui du philomèle qui nous charme les soirs d’été. Les couinements que les nôtres se permettent, ressemblent davantage à ceux émis par les rossignols de cambrioleurs ouvrant une serrure rouillée. Passer du chaud au froid et revenir au chaud, rameuter ses troupes, encourager les défaillants, maintenir l’homogénéité du groupe, ce n’est pas avec cette méthode que l’on devient Pavarotti. Les chansons, on les a dans la tête, mais elles y restent. C’est dommage, car finir en chanson les journées fastidieuses que nous passons, ce serait la fête. Ah ! Cette Ukraine qui n’en finit pas, on la grignote petit à petit mais que cette platitude est interminable. Seules consolations : une température agréable et LE VENT DANS LE DOS. Et dire que la Police nous surveille encore et toujours. Bon ils ne nous gênent pas, mais le risque de se perdre ici est nul. Il suffit de rouler toujours en face de soi jusqu’à ce que l’on arrive à la ville. Tu ne risques pas de te tromper dans la traversée des patelins, il n’y en a pas. Ce soir on a droit à l’hôtel. Ce ne sera pas un luxe de prendre une double douche et de se curer tranquillement les doigts des pieds. Sans commentaires ! la journée est finie.
• *Cantagoy : contraction de deux mots Gascons, canta=chanter et goy=plaisir

Mercredi 23 Avril2008 : 35 ème étape, Kherson – Nova­Kahokva / 80 km.

Diù Biban ! je ne croyais pas si bien dire. Hier au soir, il aurait mieux valu chanter que d’entendre les jérémiades de certains¨inquiets¨ jamais contents, qui ne savent que rouspéter¨. Bon on va mettre ça sur le compte de la fatigue et du manque de variété dans le paysage. A chacun son ambiance, mais quand même ce n’est pas un voyage du 3ème âge, c’est Paris-Pékin à bicyclette, nuance. Bien sûr le parcours n’est pas folichon, bien sûr qu’il peut y avoir quelque couac dans l’organisation. Mais au lieu de râler il vaut mieux aider à réparer les oublis ou améliorer l’ordinaire. Ce n’est pas en se planquant derrière un soi-disant blog à tenir à jour, critiquer ceux qui travaillent et font de leur mieux pour que tout aille bien, que ça va arranger les choses. Jean-François, pour faire une nécessaire mise au point, a été délégué par le staff unanime soutenu par l’unanimité des participants, moins les grincheux qui se sont abstenus. Il a rappelé à chacun que l’engagement pris n’était pas un contrat d’agence de voyage. « C’est à un Paris-Pékin à bicyclette que l’on a souscrit avec tous les aléas et inconvénients qu’une telle expédition comporte. Nous ne sommes pas au Club Méditerranée, et les donneurs de leçons, les spectateurs passifs, ceux qui se permettent de juger à titre personnel les prestations, la préparation et l’exécution de l’expédition, peuvent donner un coup de main. Leurs compétences seront les bienvenues. Nous souhaitons des acteurs et non des profiteurs. A bon entendeur salut ! L’incident est clos en ce qui nous concerne.» A la fin de cette tirade, ce n’est pas le nez de l’orateur qui s’est allongé. Nous pédalons sous le soleil qui continue a favoriser le peloton de ses U.V. ça commence à roussir ou à bronzer, c’est selon la couenne du pédaleur. Encore un bivouac d’évité, on couche dans un gymnase, mais il n’y a aucun poète pour le regretter. Dobraj nõchi !

Jeudi 24 Avril 2008 : 36 ème étape, Nova­Kahovka - Melitopol / 168 km.

Ce matin, aucun commentaire, aucune discussion, tout le monde est concentré. L’étape est sérieuse. Cent soixante huit bornes, ça ne se traite pas ¨ par dessous la pédale¨. Comme il n’y a pas de petites économies, les gestes et la salive sont ménagés au maxi. Le ciel est couvert, la température fraîche, mais depuis quelque temps, Éole fait ami-ami avec nous. Il nous pousse gentiment, peut-être pour nous faire sortir au plus vite de ce triste pays. Et ces routes en élastique, que plus tu y roules dessus, plus elles s’allongent. J’ai râlé tu sais plus d’une fois en grimpant le Tourmalet. Juste après le pont de la Gaubie, je poussais petit, mais j’avançais quand même. Je voyais la borne 6 se rapprocher, lentement d’accord, mais elle se rapprochait. Tandis qu’ici, tu as beau passer grande plaque, l’horizon se fout pas mal de tes efforts, il reste sur place. Tu n’entends pas un oiseau chanter, y a pas un seul corbeau pour croasser. Tu peux sans crainte laisser ton fromage sur la sacoche, il ne risque pas de s’envoler. A force de faire mes exercices de télépathie avec René, je vais devenir aussi fort en divination que madame Irma. Avant-hier soir, je parlais de chanter, eh bien aujourd’hui, le copain Alfred, Alfred, c’est le prénom, son nom, c’est Muller. Devine qu’est-ce qu’il est ? Non tu ne vois pas ? IL est Mosellan. Alors Alfred aujourd’hui aurait aimé que : « Les Cyclos-chanteurs donnent de la voix.» Mais queue d’ale, pas de concert, ils n’ont pas du signer à l’engagement de contrat subsidiaire et substantiel avec la Fédé.
Nous nous retrouvons pour la nuitée à l’Université de Mélitopol qui nous offre le gîte et le couvert.

Vendredi 25 Avril 2008 : 37 ème étape, Mélitopol – Berdansk / 118km.

Le petit dej. dans une boîte de nuit à 7h. du mat. fallait y penser. C’est ce que nous a offert le Recteur de l’Université. Grand merci à lui. Mais qui a pu contrarier Éole? Ce matin lassé de ses efforts, ou voulant nous assassiner pour terminer le travail de sape de l’étape d’hier, il nous regarde bien en face, nous souffle gentiment sur la figure, mais longuement et sans reprendre haleine. Heureusement que l’Ukraine c’est tout plat! Et puis c’est bien, tu n’as pas à réfléchir. La route ? c’est tout droit, toujours tout droit. Ce qu’il y a de bien aussi en Ukraine, c’est que tu peux pique-niquer facilement dans la campagne. Y a de la place ! après le repas, il a bien fallu reprendre la route et le vent contraire, mais nous avons placé des gaillards devant qui lui ont fait du rentre dedans, sans baisser ni les yeux ni la cadence. Les relais se succédaient sans rouspétance, il y a bien eu deux ou trois resquilleurs, mais ils devaient se sentir faiblots, personne n’en a tenu compte. Ce soir grand luxe, nous allons à l’hôtel. Grandement apprécié, le geste de notre trésorier. Bonne et longue douche, bon repas, et des DRAPS blancs, pas de pétomane en colère ni de ronfleur attendrissant. Kharóshyl atél’.

Samedi 26 Avril 2008 : 38 ème étape, Berdansk – Mariupol / 92 km.

Quelques étirements prolongés dans le plumard, ont arrangé les organismes, les organisateurs et les organisés. Avec le supplément de soins que nos ostéopathes ne manquent pas de prodiguer, tout le monde est sur pied pour la nouvelle journée. Ça va servir. Le ventilateur s’est mis en route dès le départ et de face pour bien nous aérer. Tout le monde ¨reste en dedans¨, nous avons le temps, l’étape est courte, nous en gardons sous la pédale. Les filous professionnels n’ont pas manqué de sauter leur tour de relais, mais repérés depuis hier, ils se sont fait expliquer le pourquoi de la chose. En personnes intelligentes, ils ont vite compris que les copains n’étaient pas des ¨grégaris¨. Sinon que dire du paysage, qu’il est pareil à celui de hier, que c’est la photocopie de celui d’avant-hier etc.etc. Ce soir encore grâce à la bienveillante attention de l’Alliance Française, nous dormirons dans un gymnase. Demain c’est la Pâque Orthodoxe toute la ville se prépare à la Fête. Ce sont nos Bocuse attitrés qui nous préparent un repas aussi délicieux que copieux. Tiens en parlant de pieux, Ciao! Paká !

René Delhom

Mis en ligne mercredi 30 avril 2008

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