Récit n°9

Jeudi 17 Avril 2008 : 30 ème étape, Braïla – Albota de Jos / 117 km.

Si hier nous nous sommes permis de prendre un départ retardé pour des raisons de logistique, ce matin nous rattrapons le temps perdu. Les yeux encore bouffis de sommeil, nous dégustons le petit déjeuner préparé avec amour par notre équipe de spécialistes. Il est 7h15 très exactement quand nous levons l’ancre. Le temps est au beau. Quand je vous dis que le Danube est un grand fleuve. Il est grand dans tous les sens du terme. Figurez-vous que ce matin, un peu après Galati, il n’a pas voulu être en reste avec le ciel, pour nous dire un au revoir à sa mesure : il a revêtu son beau costume bleu. Inoubliable Danube bleu, nous te remercions de toutes les beautés que tu nous as offertes le long des 2880 kilomètres parcourus côte à côte. Regroupement général à la frontière Roumano - Moldave, là encore nous pouvons mesurer le travail efficace des fonctionnaires français et des organisateurs de la F.F.C.T. Nous entrons en Moldavie. Une qui est vraiment heureuse, c’est Céleste. Elle retrouve les pistes inscrites dans ses gènes. Celles qui longent le Gange et s’en vont serpenter dans le Dekkan. Plus de macadam qui échauffe les coussinets, une route à sa taille, avec des trous ou ses grosses godasses s’adaptent naturellement. Elle s’ébroue librement au gré des irrégularités de la route, sans souci d’une circulation inexistante. La seule richesse de ce pays, je pense est dans le cœur des Moldaves. Paysages encore plus désolés que les plus désolés rencontrés jusqu’ici. Villages plus pauvres que les plus pauvres que nous ayons traversés. Mais qu’elle gentillesse chez ces gens. Leur fortune n’est pas déposée dans une banque. Nenni, elle reste avec eux, en eux prête à être distribuée sans compter. Sont-ils moins heureux que nous ? J’en doute. Comme dirait l’autre : « Nous n’avons pas les mêmes valeurs ! » Me revient en mémoire la Fable du Savetier et du Financier. Et je gamberge là-dessus, je philosophe et je pédale dans ce pays vallonné bordé parfois de champs de tulipes, sans répondre à ma question. Après des kilomètres passés à soliloquer, c’est l’arrivée à Albota de Jos. De toutes les réceptions qui nous ont été offertes, celle-ci est la moins luxueuse. Mais quelle chaleur humaine émane des habitants de ce village qui n’est même pas mentionné sur les cartes. Monsieur le maire et ses administrés, nous proposent une véritable Fête. Bouquets de fleurs, danses folkloriques, et un buffet tellement fourni en choses succulentes que seule la générosité peut les offrir. Et savez-vous qui était présent à cette réception ? André Tchmil, l’ancien coureur vainqueur de Paris-Roubaix actuellement Ministre des Sports, en compagnie de l’Ambassadeur de France en personne. Grand moment d’émotion qui a sorti plus d’une larme au coin des yeux : la remise de 14 vélos aux enfants des écoles solidaires. Il fallait voir ces gosses tenir leur RÊVE dans les mains, extatiques, incrédules, n’osant se retirer avec leur trésor. Quelle idée géniale cette expédition, que de leçons et de richesses allons nous ramener.

Vendredi 18 Avril 2008 : 31 ème étape, Albota de Jos –Tatarburnary / 132 km.

Et voilà, les choses vont changer ! Nous entrons en Ukraine, anciennement intégrée à l’U.R.S.S.. Elle en a gardé la méfiance et l’administration suspicieuse et tatillonne. Prés de quatre heures d’attente pour accomplir les formalités permettant le passage de la frontière. Quand on sait que tous les papiers sont en règle depuis longtemps, que nous avons passé six douanes sans anicroche, cela porterait à rire si la route à faire encore n’était si longue. Manque de chance, nous avons du tomber sur un policier qui voulait gagner son galon de ¨1er Jus¨. Et ça repart Gaspard, tranquille Basile ! Avec le moral que nous avons au bout d’un mois d’aventure, rien ne peut nous abattre. Cent kilomètres à parcourir ne peuvent que nous endurcir si on est optimiste, quoique en y pensant bien, avec ces quatre heures de perdues nous serions arrivés ou presque, alors c’est plutôt chiant*. Je pèse mon mot parce que en plus de ça, ondulées dans le mauvais sens, les ¨plaines¨ sans fin sillonnées de lignes droites aussi longues, déprimeraient le plus endurci des Jacquets. Et les panneaux indicateurs, il y en a bien sûr, ????????????????????????????????Avez-vous compris ? non ! En Ukraine c’est du pareil au même. Tout est écrit en Cyrillique, et si vous n’avez pas de traducteur avec vous, vous êtes aussi couillon que si il n’y avait pas de panneau. A la tombée de la nuit nous arrivons au but, et la chance daigne enfin nous sourire. Il est prévu un bivouac pour cette nuit, mais notre ange gardien veille, en l’occurrence un professeur de Français ? Aidé par la gentille compréhension de monsieur le Maire, il nous a dégoté le gîte dans un Collège. Si les trois chambres au confort bien en dessous d’une étoile au Michelin laissent à désirer, ce désagrément est largement compensé par le repas quatre fourchettes que nos cuistots ont concocté. Repas spécial cyclotouriste qui nous envoie au plumard repus et satisfaits. Les douches toutefois m’incitent à rester dans ma peau légèrement collante, et les W.C. à la rétention. Il est 23 h. Dormons !
• * Chiant : dans le Larousse, pour les Littéraires.

Samedi 19 Avril 2008 : 32 ème étape, Tatarburnary – Odessa/ 142 km.

Le ciel est bleu, tout est joyeux, c’est le printemps c’est la fête.
Quand on est deux, deux amoureux, mézigue* et ma bicyclette.
Tiens, ce matin je démarre sans starter, allez savoir pourquoi. Il y a des jours comme ça où l’on se sent bien dans sa peau, surtout si elle est nature avec la sueur de la veille et qu’elle colle sur les os davantage chaque jour. Gras comme un stocke fiche, je ne fais plus q’un avec moi-même, je dirais même plus, je ne fais plus qu’un i. J’ai perdu les kilos superflus et ma masse pondérale s’est diluée sous les averses. Je vais être au TOP pour grimper les cols qui nous guettent le mois prochain. Il faudra que je révise le contenu des sacoches, Céleste pèserait plus que moi. Et voilà, je roule, à l’aise Blaise ! je roule dans ces grandes étendues monotones ou seuls les poteaux télégraphiques égratignent l’horizon et prouvent une éventuelle présence humaine. Une satisfaction dans ce paysage tristounet : la route. La route très bien tracée, pas trop confortable, mais bien tracée. Elle est toute jaune au milieu de champs de blés verts. Y a pas à se tromper, on suit le ruban jaune poussiéreux et on arrive à Odessa. Décrassage et récupération ! Demain jour de repos, j’aviserai.

Dimanche 20 avril 2008 : Journée de repos à Odessa / 5 ou 6 km. à pied.

Odessa ! ville historique. Odessa ! ville balnéaire. Odessa ! ville industrielle. Odessa ! ville portuaire. Tout est dit sauf que c’est vraiment une ville magnifique. Et savez-vous qui en a été le premier gouverneur ? non vous ne le saviez pas et moi non plus. C’est un Duc Français, Armand Emmanuel du Plessis, Duc de Richelieu. Non ! non ! pas le barbiquet que vous connaissez, aumônier de jour et de nuit de Marie de Médicis, conseiller de Louis XIII et créateur de l’Académie Française, non ! mais son arrière petit neveu qui n’a pas perdu la tête pendant la Révolution. Il a été la mettre hors d’atteinte de madame Guillotine dont il redoutait la tranchante amitié. C’est lui le principal artisan de l’essor d’Odessa qui reconnaissante, a érigé en son honneur une statue en haut du grand escalier Potemkine. Bon je ne vais pas inutilement vous abreuver de mon savoir, car vous en savez au moins autant que moi sur le fameux Cuirassé. Ce soir ! J’aim’ la Marine… Potemkiiiiiiine.

Lundi 21 Avril 2008 : 33ème étape, Odessa - Nikolaiev / 140km .

Hello ! le soleil brill’ brill’ brill’. Commencer la journée en chanson c’est bon signe et la semaine sous un soleil éclatant, pour un cyclo, le Nirvãna. La température presque estivale nous invite à raccourcir notre vêture. Nous allons pouvoir amorcer notre bronzage cyclo-panda : membres noirs et ventre blanc. Wouaw le pied ! C’est trop bien ! dirait mon petit fils. En grande forme, les pa-pattes au soleil, le groupe noir bien groupé, que voulez vous demander au ciel sinon que ça dure. Nous pédalons avec entrain comme si c’était notre premier jour de ¨rando¨. En fait il faut admettre que c’est la plus belle journée depuis notre départ. Alors puisque c’est l’été qui commence,¨estivons¨. Sans laisser paraître une grande richesse, les villages semblent un peu plus cossus que ceux que nous avons traversés jusqu’ici depuis que nous avons quitté la zone €. Toujours ces immenses champs de céréales qui ici sont quand même coupés par des haies. Ils offrent une image plus bucolique que les champs Roumains. Je pense que ces haies sont là davantage pour protéger les cultures du vent que pour faire joli dans le paysage. La planification agricole ne doit pas faire dans la poésie. Et ça monte, et ça descend pour remonter et redescendre, véritable tôle ondulée qui nous maintient en forme. Vous parlez d’une chance, c’est le quatrième bivouac que nous esquivons. Merci à ces sportifs rencontrés fortuitement, et qui nous ont débrouillé l’autorisation d’utiliser le gymnase comme chambre à coucher. C’est peut-être moins poétique que de dormir à la belle étoile, bercé par la voix profonde du vent de la plaine, mais à tout prendre… Bonne nuit.

René Delhom

Mis en ligne dimanche 27 avril 2008

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