Après 40 ans passés au service de
l'éducation des jeunes, le Frère André Eon, directeur
du lycée-collège Peyramale-Saint-Joseph depuis 2000, prend
sa retraite d'enseignant et quitte Lourdes avec beaucoup de regrets.
Le maire de Lourdes et la municipalité ont organisé en
son honneur une belle réception. Plusieurs élus, les enseignants
et des parents d'élèves étaient présents
pour ce grand moment.
L'allocution de Jean-Pierre
Artiganave
"Cher Frère, je vais vous dire combien
nous ne sommes pas forcément très contents de vous voir
quitter
Lourdes. Le métier d'enseignant est particulièrement difficile
et peut-être plus par les temps qui courent, sans parler de la
fonction de chef d'établissement et notamment dans un établissement
très particulier. Cher Frère, je voudrais vous remercier
d'un certain nombre de choses. De deux en particulier. D'abord de l'excellence
des rapports que nous avons eus. Je me souviens du 150e anniversaire
de la présence des Frères de Ploërmel à Lourdes
que vous aviez organisé au palais des congrès. Lourdes
est attachée aux Frères de Ploërmel, à sa
communauté de travail et à son directeur. La mission que
remplit cette école est évidemment une mission de service
public mais est aussi une mission qui a un petit supplément d'âme.
Aujourd'hui, elle a un rôle éminemment social dans la ville
de Lourdes. Je sais que les Frères et vous-même ont toujours
donné ainsi que vos collègues le meilleur pour les jeunes
de Lourdes. Et dans une ambiance
qui a été toujours à Lourdes, il faut que ça
continue comme ça, apaisée. Vous avez su ici nous préserver
d'une rivalité en particulier avec l'enseignement public. À
l'homme, je voudrais lui dire au moment où il part qu'il nous
laisse un souvenir ému, de responsable tout à fait attaché
à la communauté lourdaise. Nous vous remercions de votre
travail pour animer l'équipe d'enseignants mais aussi grâce
à des hommes comme vous dans une continuité qu'il nous
faut maintenir
à Lourdes. Voilà cher Frère ce que je voulais vous
dire. C'est horrible de souhaiter parfois une bonne retraite parce que
je sais qu'il n'y aura pas pour vous de retraite, vous continuerez à
avoir un rôle particulièrement actif au sein d'une congrégation
qui est chère à nos coeurs et qui représente beaucoup
au-delà du message de Jean-Marie de La Mennais.
Nous avons fait graver une médaille de Lourdes à votre
nom à la fois pour vous témoigner de notre respect, de
notre amitié et pour vous remercier de votre travail que vous
accompli à Lourdes".
La réponse du Frère
André Eon
"J'ai deux regrets : le premier, c'est d'arrêter
mon métier d'enseignant et de chef d'établissement. Et
le deuxième regret, c'est de quitter Lourdes et les amis que
je m'y suis fait. Je ne pense pas que personne
ne m'ait jamais entendu dire : « Vivement la retraite ! ».
Lorsque je regarde en arrière ces 40 années passées
au service des jeunes, je me vois 40 ans en arrière le premier
jour de classe, en 1967. Il se trouve que j'ai commencé ma carrière
dans le collège d'où j'étais parti comme élève
10 ans avant. J'étais parti en 6e en 1957. Je n'avais pas dit
un mot de toute l'heure. Le tableau était rempli d'exercices
de maths et les élèves avaient été priés
de bosser pendant une heure sur ce qui était écrit au
tableau. Mon bonheur a été de voir grandir ces jeunes,
d'ouvrir leur esprit aux joies des mathématiques et des sciences
physiques. L'éducation est inséparable de l'instruction
et si Jean-Marie de La Mennais a appelé sa congrégation
« Frères de l'instruction chrétienne » c'est
qu'il pensait indissociable la formation de l'intelligence, le développement
de la personne dans toutes ses dimensions morale, sociale, religieuse.
Sur ces 40 années d'enseignement, j'aurai passé pratiquement
trois décennies comme chef d'établissement. J'ai commencé
à 1977. Mais en conservant toujours des heures d'enseignement
y compris quand j'étais à Saint-Nazaire avec 1100 ou 1200
élèves. Directeur, c'est bien sûr un autre métier
que celui d'enseignant mais toujours à l'intérieur de
la même mission : l'éducation des jeunes. C'est un métier
à risques. On se trouve à l'articulation de forces contradictoires
ou centrifuges. Il faut gérer en même temps l'immobilier,
le pédagogique, la pastorale, la discipline, le recrutement des
enseignants, les élèves, organiser le travail des professeurs
et de tout le personnel administratif et d'éducation. Il faut
aussi savoir quitter son établissement pour rencontrer ses collègues,
pour aller se promener à Toulouse, au rectorat. Dans une même
journée, on passe constamment d'un registre à l'autre.
Je pense m'être trouvé à l'aise dans ce métier
et n'avoir pas trop fait souffrir les enseignants et les personnels.
Le métier, c'est celui d'un capitaine. On ne peut rien faire
tout seul mais c'est quand même lui qui tient la barre et qui
dirige le bateau. C'était mon premier regret : mon métier.
Le deuxième regret, c'est quitter Lourdes au terme d'un septennat
trop vite passé. Je vais retrouver les bords de Loire et la ville
de Nantes que j'avais quittée il y a sept ans mais en dehors
d'une communauté dans un cadre scolaire. Comment ne pas tomber
amoureux de la Bigorre, de ses paysages, de sa montagne, de ses villages
et de ses habitants ? Le charme de ses vallées est quasi envoûtant
: les torrents, les forêts, les estives, les champs de rhododendrons,
les champs de myrtilles, les lacs entourés de verdure ou de rocaille,
les névés, les sommets. J'ai arpenté sac à
dos des centaines de kilomètres de sentiers, bien m'en a pris.
Avec mon maître ès montagne, le Frère Joseph Pinel.
Lourdes est aussi la cité mariale par excellence. J'ai encouragé
les catéchistes à faire découvrir les Sanctuaires
aux jeunes Lourdais. À l'intérieur de ce second regret,
il y a bien sûr la frustration de ne pas être présent
aux festivités du 150e anniversaire des Apparitions. Vous l'avez
rappelé, on a célébré en 2005 le 150e anniversaire
de l'arrivée des Frères dans ce qui était alors
une petite bourgade. J'ai toujours eu plaisir à rappeler au Père
Quidarré que les Frères de Ploërmel étaient
apparus à Lourdes avant la Sainte Vierge. À ce propos,
je dois remercier bien sincèrement la ville de Lourdes pour sa
bienveillante coopération avec les établissements privés
de Lourdes et notamment Peyramale et Saint-Joseph (aide technique, prêt
de la salle du Palais, les subventions que vous voulez absolument à
parité, les transports, les déplacements, l'accès
facilité aux installations sportives). Donc, je remercie de tout
coeur au nom des élèves et de leurs familles, les élus
et les services techniques de la ville de Lourdes pour leur accueil
sympathique et leur esprit de coopération en toutes circonstances.
Quand on arrive à un endroit venant d'ailleurs, un "estranger"
comme moi, il y a des choses qu'on sent, des intuitions premières
qu'on oublie et qu'on redécouvre à la fin. J'ai eu le
sentiment de débarquer d'abord dans un pays de cocagne, Lourdes,
mais aussi dans un village de clochemerle. En lisant un ouvrage sur
les maires de Lourdes, on trouve presque à chaque page procès,
chicanes, querelles, procédures. L'"estranger" que
je suis a quelquefois de la peine à comprendre cet amour de la
querelle et des procédures. Ne vous inquiétez pas M. le
maire, j'oublierai vite le côté clochemerle et je garderai
le souvenir du pays de cocagne. Merci M. le maire pour votre hospitalité,
votre accueil toujours chaleureux. Je ne sais pas si j'ai mérité
la nationalité bigourdane. Je vous dis M. le maire, à
tous les amis que je laisse ici et à toute la ville : "Adichats".
Propos recueillis par Gérard
Merriot
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